vendredi 30 mars 2012

La variation debout, ou d'où viennent les mutations en évolution ?

[caption id="attachment_50" align="aligncenter" width="211" caption="Cliquez sur l'image"][/caption]

Une question qui revient parfois quand je discute science avec non biologistes, c'est l'origine de la variabilité génétique qui permet l'évolution. En fait, la question est rarement posée comme ça, c'est plutôt moi qui cause là. La question de base c'est : les mutations apparaissent-elles parce qu'il y a en besoin, ou sont-elles déjà là ?

Prenons l'exemple illustré par la BD de ci-dessus, et déjà discuté à Strange Stuff and Funky Things : l'expérience de la ferme aux renards. En résumé, des renards sauvages ont été sélectionnés pendant des générations pour leur docilité par rapport aux humains. Au bout de 40 générations, on obtient des renards gentils et mignons comme tout.

Alors, d'où viennent les mutations qui font qu'ils sont gentils ? Hypothèse 1 : ayant senti que les gentils seraint avantagés, ils se sont mis à faire exprès des mutations vers plus de gentillesse. Bin non, ça ne marche pas comme ça. L'environnement ne peut pas induire des mutations spécifiques. C'est même en cela que l'on dit que les mutations sont aléatoires : ça n'est pas qu'elles sont forcément distribuées au hasard à tous égards, c'est qu'elles sont générées complètement indépendamment de leur rôle éventuel. Une mutation qui rend plus gentil ou une qui rend moins gentil ont les mêmes chances de se produire.

Hypothèse 2 : après être arrivées à la ferme, des mutations se sont produites au hasard donc. Parmi ces nouveaux mutants, des gentils qui n'auraient pas existé dans la nature auparavant, et qui sont donc sélectionnés par les russes (vous n'avez pas lu l'article de Strange Stuff lié là-haut ?). Cette hypothèse n'est pas impossible en principe. Mais elle est très improbable lorsque l'on a une adaptation rapide. En effet, les mutations ont beau être relativement fréquentes, le génome est grand, et le taux de mutations affectant un trait précis est faible (difficile à quantifier quand on ne sait pas le nombre et la taille des gènes impliqués, mais de l'ordre de 1 par million disons). Donc si on a quelques centaines de renards et 40 générations, on a peut de chances d'avoir décroché ce jack-pot.

Hypothèse 3 donc : les mutations qui induisent la gentillesse existaient déjà dans la population de renards sauvages. L'expérience les a simplement sélectionnées. Plus précisément, la gentillesse est probablement affectée par beaucoup de gènes ayant chacun un effet faible. Donc en choisissant les renards un peu gentils au début, on prend ceux qui ont certains de ces gènes mutés dans un sens gentil. Ensuite on les croise, et en re-sélectionnant on choisit ceux qui ont des mutations gentilles des deux parents (et on jette ceux qui ont hérité des mutations méchantes des deux parents, bien fait pour eux). J'ai continué à utiliser le mot mutation, mais quand une mutation reste dans la population comme cela, on appelle ça de la variabilité génétique. Dans toute population qui n'est pas constituée de clones purs, il y a de la variabilité génétique. La quantité de cette variabilité qui est disponible pour la sélection (naturelle ou artificielle) à un moment donné s'appelle en anglais standing variation.

Cette variation est très importante, parce que c'est elle qui va permettre une adaptation rapide si besoin est, malgré le taux de mutation bas. A part des russes fous au fond de la Sibérie, ça peut être un changement climatique, un nouveau parasite, une nouvelle source de nourriture, etc, qui nécessitent une adaptation rapide ou crève.

Un article récent sur la génétique humaine (discuté sur le blog de nos doctorants Genomeeee) suggère d'ailleurs que la plupart des adaptations qui se sont produites chez les humains sortis d'Afrique, lorsqu'ils se sont adaptés au vaste monde, viennent de la variabilité génétique déjà présente chez nos lointains ancêtres des milliers de générations avant l'expansion d'Homo sapiens sapiens. Pour preuve : lorsqu'une nouvelle mutation avantageuse apparaît (je viens d'arriver en Russie, et il apparaît une mutation de résistance à la vodka), elle se fixe très vite, à savoir que les personnes qui ont cette mutation ont un énorme avantage et plein d'enfants qui survivent et ont plein d'enfants. Conséquence, la variabilité génétique proche sur le chromosome est réduite dramatiquement, parce que tout le monde a hérité de ce morceau de chromosome super avantageux. Par contre si le variant avantageux était déjà présent, il fait partie de la variabilité générale, et des morceaux de chromosomes divers contenant ce variant peuvent être sélectionnés. D'où une baisse de variabilité bien moindre. Pour être honnête, les résultats de ce papier sont sujets à discussion, et il est notamment possible que des mutations nouvelles soient apparues avec effet avantageux mais faible.

En conclusion, pour s'adapter, mieux vaut être variable. Comme le lièvre ? Rien à voir, mais excellente question. A la prochaine.

vendredi 23 mars 2012

Publications en libre accès : Dépêches du front

[caption id="attachment_29" align="aligncenter" width="280" caption="Cliquez pour voir l'original"]the Oatmeal tried[/caption]

Comme Tom Roud le notait il y a quelques temps, il y a un conflit de plus en plus ouvert entre certains scientifiques et certains éditeurs de journaux scientifiques. Cette discussion est en partie liée aux différents modèles de publication, mais il y a plus. Comme je le notait aussi dans un ancien billet, les seuls profits des éditeurs privés pourraient couvrir la publication libre d'accès pour tous. Pas le chiffre d'affaires remarquez, les profits. On va y revenir.

Le débat récent est très bien résumé par Tom Roud, donc je ne vais pas détailler, sinon pour dire que j'ai partagé à 200% le choc de Tom face au cynisme affiché des éditeurs, qui prétendent apporter la valeur ajoutée de la recherche scientifique. Je suis expert pour plusieurs articles par mois, gratuitement, je suis éditeur pour PLoS One, gratuitement, j'ai des collègues qui éditent des journaux, des numéros spéciaux, des livres même, gratuitement (ou contre payement symbolique genre on vous offre un bon pour un livre), et surtout la valeur d'un article c'est 99% le contenu scientifique, lequel vient du travail des chercheurs.

Un truc qui m'a frappé, et j'ai beaucoup suivi cette histoire, c'est que les réactions des représentants des éditeurs, et de personnes apparemment sincères qui y travaillent, sur des blogs, sur twitter, etc, montrent qu'ils sont complètement à la rue. Ils ne comprennent pas ce qu'on fait, ils ne comprennent pas nos motivations, ils ne comprennent pas pourquoi on est faché et ce qu'on veut. Ils travaillent avec nous (et notre argent et notre travail) depuis des années, et ils ne comprennent rien à la recherche scientifique. C'est terrifiant.

Il y a donc eu cette pétition pour boycotter Elsevier, le plus gros éditeur scientifique, et un des plus requins, qui soutient tout ce qui se fait de vil comme lois, publie des pseudo-journaux de médecine truquée, défend le copyright contre la science (sérieux, lisez ce qui est arrivé à l'ETH Zürich), et fait des profits de plus du tiers de leur chiffre d'affaires. A part faire reculer la loi anti-partage des articles aux Etats-Unis, la pétition a aussi bien relancé la discussion.

Alors je vais prendre l'occasion pour parler un peu de points intéressants (pour moi) qui sortent de la discussion.

D'abord un bon point de situation au journal The Scientist : "La publication scientifique est cassée". L'argument fondamental est toujours le même : nous scientifiques, payés avec vos impôts, faisons la science, écrivons les articles, expertisons les articles, dans bien des cas jugeons de la pertinence des expertises, puis les articles appartiennent à des compagnies privées qui nous les revendent, vous en interdisent l'accès, et gardent le copyright.

Un angle très important dans cette discussion, qui est souvent négligé, est le rôle des sociétés savantes. La plupart de ces sociétés publient au moins un journal. Ce journal (ou ces journaux) a plusieurs rôles, et est souvent crucial pour la visibilité de la société. Notamment, il est en général la source financière principale pour la société. Cet argent permet d'aider des étudiants ou des collègues de pays pauvres à venir aux conférences, soutient l'organisation des conférences, et toutes sortes d'autres activités qui varient selon les sociétés (par exemple les sociétés de biologie évolutive doivent parfois combattre le créationisme). En général, ces journaux appartiennent aux sociétés, mais sont publiés par des éditeurs privés. Un billet récent dans le blog d'édition Scholarly Kitchen couvre bien une partie de ces questions. Malgré le ton un peu agressif à mon avis, il montre bien que le choix n'est pas simple entre "libre accès bon" et "accès fermé mauvais".

Tout bien considéré, mon avis reste que le bénéfice social et scientifique des sociétés est moindre que celui de la publication libre accès.

Un autre point du billet dans Scholarly Kitchen est les éditeurs universitaires. Ce sont des éditeurs, comme Oxford University Press, qui appartiennent à des universités, sont généralement à but non lucratif, et qui publient des journaux de société ou autres (environ 70% de journées de société à OUP), des livres spécialisés ou des livres de cours. Ceci dit, je ne vois à nouveau pas le problème : les éditeurs universitaires peuvent bien passer au libre accès. J'ai publié récemment dans Nucleic Acids Research, qui appartient à OUP, et est totalement libre accès avec copyright Creative Commons. L'édition était aussi professionnelle que celle d'un journal Elsevier pro, et OUP fait de jolis bénéfices, reversés à l'université d'Oxford. Donc on peut avoir le beurre et l'argent du beurre, jusqu'à preuve du contraire.

Finalement, le blog d'Oikos a rapporté un exemple très intéressant utilisé en économie : les articles candidats (appelés généralement manuscrits - eh oui les techniques s'envolent les noms restent) sont soumis à un site central, ExpressO, et les auteurs spécifient à quels journaux ils veulent soumettre leur manuscrit. Ils payent un petit forfait ($2,20) par journal choisi. Ensuite les journaux intéressés à leur manuscrit le leur signalent, et les auteurs choisissent auquel de ceux-là faire la soumission finale. Ceci me paraît un excellent système, qui évite les va-et-viens inutiles et coûteux en temps qui résultent de la resoumission d'un manuscrit à une série de journaux différents. De plus, cela optimise le choix pour toutes les parties, puisque les journaux ont une vue d'ensemble de la discipline, et non leurs seules soumissions, et les auteurs choisissent le journal final en connaissance de cause.

J'espère que la discussion va continuer.

vendredi 16 mars 2012

Races et génétique, c'est reparti

[caption id="attachment_13" align="aligncenter" width="208"] Cliquez sur l'image[/caption]

Bon alors on a droit à ce débat à intervalles réguliers : tous les humains ne sont pas identiques, donc y a-t-il du vrai dans la notion de races humaines ? Si vous dites "non", vous êtes surement un horrible censeur de la science au nom du politiquement correct. Si vous dites "oui", vous êtes un surement un affreux eugéniste, prêt à réveiller les mânes d'Hitler.

La discussion est repartie récemment suite à des billets sur plusieurs blogs scientifiques anglophones. (OK récemment c'est tout relatif, j'ai eu un peu de boulot ces derniers temps, alors cette note a pris du retard. Bref.) Le point de départ est un article dans American Scientist, qui commente très positivement deux livres récents sur la notion de race et le racisme à la lumière de la génétique moderne. Le biologiste évolutif Jerry Coyne, spécialiste de la spéciation, Professeur à l'Université de Chicago, et très actif sur internet, a rebondi pour dire que tout ça c'est des bétises, et, je cite :
the subject of human races, or even the idea that they exist, has become taboo.  And this despite the palpable morphological differences between human groups—differences that must be based on genetic differences and would, if seen in other species, lead to their classification as either races or subspecies

Pour un tabou, je trouve que c'est fou ce qu'on en parle souvent. C'est comme les misogynes qui se plaignent qu'ils n'ont plus le droit des parler des différences hommes-femmes, mais qu'est-ce qu'on les entend. Bref, revenons à nos moutons.

Donc l'argument de Coyne, c'est que :

  • il existe des différences visibles entre humains de différentes origines géographiques, ce qui suffirait souvent à définir des races dans une espèce animale quelconque (il donne l'exemple de pelages de souris) ;

  • il existe des différences génétiques entre individus humains ;

  • point important, ces différences sont structurées géographiquement.


Un autre point important qu'il note, c'est que la structuration géographique se voit à différents niveaux de résolution, et donc qu'il n'y a pas un nombre clairement défini de races, mais plein de races emboîtées. C'est illustré par les figures ci-dessous :

Ce sont des analyses de structure de génétique de populations humaines, prises de l'article Genetic Structure of Human Populations (Rosenberg et al 2002, accès payant). Dans ces analyses, il faut spécifier à l'avance combien de groupes on veut détecter. Quand on spécifie K=4 groupes pour un échantillon d'humains d'un peu partout, on trouve des groupes africain, européen, asiatique et amérindien. Mais si on spécifie K=5 groupes pour le Proche-Orient, on sépare les bédouins des druzes etc.


A ce point, je note que si la notion de "races" inclut la différence entre palestiniens, druzes et bédouins, je ne suis pas sur que ça soit une notion très utile. On peut sous-diviser à l'infini. Il existe des traits spécifiques dans une famille, même qu'on sait faire des tests de paternité. Et alors ? Le problème récurent c'est que dès que l'on utilise le mot "races" pour les humains, les gens projettent dessus tout l'héritage des races en tant que construction sociales, et donc du racisme. Quand je dis construction sociale, aux Etats-Unis les latinos sont séparés des "caucasiens" (blancs), alors qu'en Europe ils seraient inclus, par contre les arabes sont inclus dans les caucasiens, alors qu'ils sont victimes de racisme en Europe. A la fin du 19ème, des gens très sérieux démontraient que la race irlandaise était inférieure. Je ne sais pas si même le KKK parle encore d'une race irlandaise.

Dans un deuxième billet le lendemain, Coyne s'appuie sur un article plus récent, et d'ailleurs excellent, Genes mirror geography within Europe (Novembre et al. 2008, gratuit d'accès). Dans cet article, plus de 500'000 variations dans le génome ont été compilées pour plus de 3000 personnes venant de toute l'Europe. Seules ont été inclues des personnes dont les 4 grands-parents viennent de la même région. Le résultat super cool est montré dans la figure ci-dessous :

[caption id="" align="aligncenter" width="150"] Cliquez pour voir l'original[/caption]

Le nuage de points colorés montre une classification des génotypes (variations dans le génome) des européens. Les couleurs correspondent aux pays d'origine. Il est important de noter que la méthode de classification est basée uniquement sur les génotypes, pas sur l'information géographique. Et pourtant elle récupère une excellente carte d'Europe. Les personnes qui viennent du même endroit ont presque le même génome, les personnes qui viennent d'endroits proches ont des génomes proches, les personnes qui viennent d'endroits éloignés ont des génomes éloignés. Qui plus est, sur la base du génotype on peut prévoir avec une bonne précision l'origine géographique d'une personne (rappel : ce sont des personnes dont les 4 grands-parents viennent du même endroit).


Coyne note que :




It doesn’t really bear on the question of “races”—except showing that discrete racial groups don’t exist in Europe—but it does show that you can do a pretty good job telling where people came from by looking at their DNA



Pourquoi ? Parce que quand la méthode n'impose pas de trouver des groupes discrets, on n'en trouve pas. Ce que l'on trouve, c'est une variation continue liée à la géographie. D'après beaucoup de commentateurs de ses billets (et d'après moi), c'est ce que l'on attend en l'absence de races.

Sur son blog Sandwalk, le biochimiste Larry Moran commente dans le même sens que Coyne, tandis que sur le blog anti-créationiste Panda's Thumb, Nick Matzke soutient qu'il existe de la varation géographique structurée, mais pas de races.

Pour moi le meilleur jugement était dans les commentaires au billet de Moran par un certain JW Mason. Répondant au commentaire :
nobody--NOBODY--is arguing for an old-school typological or "discrete" race concept, OK?

Il a écrit :
No, not OK.

In common discourse, that is exactly what the word "race" means. If you are talking to e.g. the readership of Scientific American (the audience specified here) and you say "race exists," what you mean is that "race [in the sense that lay Americans use it, i.e. of discrete distinct races] exists." If you want to talk about other distinctions between populations of human beings, quite different from the general meaning of the word race, you should adopt a different word for them.

Pour moi ceci est le coeur du problème. Et je pense que cela va bien plus loin que les lecteurs d'un magazine de vulgarisation. De nombreuses études médicales aux Etats-Unis sont organisées en fonction des "races" socialement reconnues, avec des conclusions sur le risque de mortalité des nourissons chez les latinos par rapport aux afro-américains qui à mon avis ne tiennent pas la route. D'ailleurs il y a un excellent article d'opinion de 2005 dans Science à ce propos : Race and reification in science.

Il faut voir que d'une part on va bientôt avoir l'information génomique directe permettant un traitement personnalisé, sans approximations telles que la "race". D'autre part, ces "races" socialement constitutées sont très inégales en termes de variabilité génétique. Presque toute la variabilité génétique humaine est en Afrique sub-saharienne. Donc on serait d'avantage justifié à partager en San ("bushmen" de Dieux sont tombés sur la tête) <-> le reste, que les races traditionelles. Enfin, la plupart d'entre nous, et de plus en plus, sont d'origine mélangée. Pour des raisons sociales, Colin Powell est considéré comme "afro-américain" aux USA. Mais il est un mélange plus ou moins égal d'Afrique (de l'Ouest ?), d'Asie du Sud-Est et d'Ecosse. Qu'est-ce que cela apporte à notre compréhension de la biologie humaine de le mettre dans une case ?

Il y a de la variabilité génétique entre humains (scoop), elle est organisée géographiquement (re-scoop), on ne connaît pas sa fonction s'il y en a une (à mon avis pas beaucoup mais un petit peu). Voilà, pas besoin du mot "races". Sauf pour augmenter le nombre de clics sur mon premier billet au Café des sciences. Que je remercie de m'avoir accueilli.

Races et génétique, c'est reparti, au Café-sciences.org


Ce blog migre au C@fe des Sciences. Mon premier billet là-bas est :

Races et génétique, c'est reparti (lien corrigé ; and remplacé par et ; oups)


Au plaisir de vous revoir là-bas, et désolé pour la longue interruption.