lundi 17 juin 2013

doit-on limiter la recherche scientifique ?

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Il y a eu une discussion récente sur la liste mail interne aux bloggeurs du C@fé sciences, sur la question "Doit-on limiter la recherche scientifique ?".

Le point de départ était un article "sur la première dérivation de cellules souches embryonnaires humaines à partir d'un embryon cloné", suivi d'un article du New York Times sur "le steak de cellules souches". D'où la question de Vincent du blog Dessous de sciences aux autres blogueurs du C@fé sciences :
Est ce que pour vous la science, et plus particulièrement le domaine des cellules souches, commence à dépasser des frontières éthiques et à aller trop loin ?

(Entre temps, Vincent a couvert le sujet des steaks aux cellules souches.)

Je vais essayer de résumer les grandes lignes de ce qui est sorti de cette discussion. J'espère que mes confrères commenteront et corrigeront mes racourcis et mes incompréhensions. Entre "guillements" et en italiques les citations d'autres blogueurs.

Plusieurs bloggueurs, surtout mais pas seulement des chercheurs, considèrent qu'il est dangereux voire détrimental de vouloir limiter la science, et que la question ne doit se poser qu'au niveau des applications éventuelles. On peut poser la question du "pourquoi sans limites". Les applications rentrant dans un cadre industriel et non scientifique, et ayant vocation à être réglementées. Je partage ce point de vue, je vais m'en expliquer plus loin.

Dans la suite d'un billet de blog sur la fameuse citation de Rabelais "Science sans conscience n'est que ruines de l'âme", Sirtin regrette que l'aspect éthique et plus généralement science et société ne soit que très peu présent lors des études scientifiques.

Donc "nous (les scientifiques) ne voyons que par le bout de la lorgnette et nous déchargeons de nos responsabilités vers la société." Un point proche est le risque que les scientifiques, ayant répondu à une question avec succès, ne résistent pas "aux appels du pied de grandes compagnies richissimes qui voudrait aller plus loin et cloner un individu complet" (par exemple). Je dois dire que je ne suis pas sur de comprendre ce que ceci implique en pratique, mais je note avec plaisir que mon université a un enseignement obligatoire "science et société". :-) Le point de vue presque contraire est que "tout ce qui est technologiquement possible finira par être démocratisé dans la mesure où un minimum de personnes sont disposées à payer pour cette technologie/service", donc ce n'est qu'une question de temps pour que la société s'habitue à diverses avancées comme la sélection génétique pré-natale. Mais avec la possibilité d'allers-retours selon la perception de la société des coûts-bénéfices, et la sensibilité à différentes valeurs. Par exemple avec les mouvements écologistes le coût environnemental d'une alimentation abondante et variée devient davantage ressenti et pris en compte. On en revient au même point, qui est l'importance de l'éducation et de la réflexion des scientifiques, tout en poursuivant leurs recherches.

D'ailleurs plusieurs personnes ont noté que l'éthique ne peut pas entièrement être déterminée par la société ou le cadre légal, et qu'à un moment il s'agit de valeurs et de choix personnels.

Un autre point intéressant qui est remonté est la différence entre poser une question de manière abstraite, et utiliser divers outils expérimentaux pour y répondre. Doit-on faire des expériences sur des patients humains, des animaux, des cultures cellulaires, des échantillons précieux, et quand ?

A un moment de l'échange, David de Sciences étonnantes a cité une émission de France Inter avec Pierre-Henri Gouyon l'ayant convaincu qu'il fallait effectivement limiter la recherche scientifique : La tête au carré.

Je trouve perso que PH Gouyon confond plusieurs choses : quelles questions l'on se pose (ce qui devrait être le sujet me semble-t-il), quels moyens on utilise pour y répondre (voir ci-dessus), quelles motivations l'on a pour y répondre, et quelles sont les applications potentielles ?

Par ailleurs ce qui m'a frappé dans cette émission, c'est que l'autre intervenante, Sonia Desmoulin-Canselier, est très claire et lucide là où Gouyon confond les choses et embrouille plus qu'il n'éclaircit. Elle note notamment que quand on parle de recherche il faut poser une hypothèse scientifique, alors que les exemples de Gouyon ne concernent généralement pas de telles hypothèses. Par exemple Gouyon dit qu'il ne faut pas parler de races humaines, parce que les américains font du vilain avec (il passe comme très anti-américain dans cette émission à mon avis, alors qu'une caractéristique essentielle de la recherche scientifique à mon sens est d'être universelle). Mais il ne dit pas dans quel cadre, en posant quelles questions, l'on serait amené à parler de races humaines. Je me permet de vous renvoyer à ce sujet à mon billet sur le sujet, où je discute qu'il existe des différences génétiques entre humains mais pas de races à mon avis, et pourquoi le sujet fait l'objet de discussions pertinentes entre scientifiques.

Prenons l'exemple d'une question simple : Y a-t-il de la vie sur Mars ?

Peut-on poser la question ? Un peu mon neveu ! J'veux savoir, j'veux savoir, j'veux savoir ! A ce stade, la question est : si vous pouviez avoir la réponse magiquement, la voudriez-vous ? Moi oui. Et si vous non, faut éviter de vous tenir au courant des avancées scientifiques, que puis-je dire. Je renvoie ceux qui disent qu'on ôte sa magie à la nature et à l'univers à cet excellent XKCD :

[caption id="attachment_1109" align="aligncenter" width="118"]Cliquez sur l'image pour lire toute la BD Cliquez sur l'image pour lire toute la BD[/caption]

Quels moyens utilise-t-on pour y répondre ? Ouh-là, beaucoup plus difficile. A ma connaissance, on ne sait pas rendre quelque chose complètement stérile sur Terre : la dernière fois que j'en ai parlé à un exobiologiste on ne descendait pas en-dessous de 1 bactérie / m2. Donc même les robots qu'on envoie peuvent amener des bactéries. Ensuite, s'il faut ramener des échantillons sur Terre, y a des chances que les contaminants terrestres soient plus abondants que les éventuelles formes de vie martiennes. Si on envoie des humains, il seront forcément bourrés de bactéries terrestres. Et ne parlons même pas du coût en carburant de ces missions. Donc autant pour moi il n'est pas légitime de dire "on ne doit pas chercher à savoir s'il y a de la vie sur Mars", autant il est légitime de dire "en l'état de nos technologies ce n'est pas une bonne idée de chercher à répondre à cette question", ce qui idéalement serait suivi aussitôt par "travaillons plutôt à améliorer ces technologies ou à en trouver de nouvelles".

Quelles motivations a-t-on pour y répondre ? Quels moyens financiers ? C'est un point sur lequel PH Gouyon insiste pas mal, et il n'a pas tort même s'il mélange un peu tout. La recherche scientifique coute des sous, de la recherche la moins chère où il faut quand même payer un salaire et un bureau (genre mathématicien) à la plus chère genre génome humain et CERN. Donc pour travailler le chercheur doit à un moment donné convaincre quelqu'un de le financer, ne serait-ce que de lui donner du travail. Ceci va clairement biaiser les questions que l'on pose en pratique. Il y a beaucoup plus de recherche sur le cancer que sur la reproduction des escargots parce qu'il y a davantage de décideurs qui sont prêts à y mettre des sous, pour des motivations de santé publique (NIH, INSERM) ou de mise au point de médicaments lucratifs (boîtes pharmaceutiques). Donc in fine les motivations d'applications potentielles ont une énorme influence sur les questions que l'on pose, c'est vrai. Mais cela me paraît dangereux de confondre ceci avec la question du droit en principe à tout étudier. Ce n'est pas parce que personne ne finance une recherche qu'on n'a pas le droit de la faire, c'est juste plus dur (et j'ai rencontré un paléo-anthropologue qui a hypothéqué sa maison pour financer des recherches éventuellement couronnées de succès). Inversement, ce n'est pas parce qu'une recherche intéresse des intérêts appliqués qui ne sont pas "purs" par un critère idéologique ou un autre que l'on ne doit pas avoir le droit de la faire. D'ailleurs aucune recherche n'est pure de manière satisfaisante pour la majorité, qui va nous reprocher de faire de la recherche sans applications, ou va nous reprocher de travailler avec les intérêts privés capables de mettre ces applications en oeuvre. Après cette longue parenthèse je reviens sur le cas martien, pour lequel il semble que l'intérêt principal jusqu'ici ait été une concurence entre états qui veulent montrer qu'ils sont plus forts que l'autre dans le domaine spatial. Motivation qui ne semble pas suffisamment forte ces jours-ci pour que grand chose de fracassant se produise. Donc peu de scientifiques s'investissent dans ces questions en effet.

Quelles applications ? C'est le point évident concernant les limites mises à la science. Si l'on découvre de la vie sur Mars, peut-on la vendre sur Terre ? Organiser des safaris pour l'observer ? S'il y a des mécanismes moléculaires surprenants qui résolvent des problèmes biochimiques importants (probablement le cas si vie martienne il y a), peut-on les reproduire et les utiliser sur Terre ? Pour quoi ? De manière purement chimique ou en modifiant des bactéries pour les martianiser ? A mon avis, la perspective de ces applications ne doit pas nous empécher de poser toutes les questions, mais les scientifiques doivent être conscients de ces problèmes et inclure dans nos missions d'alerter le cas échéant la société (les politiciens, l'opinion publique, les associations, les entreprises) aux possiblités comme aux risques. Par exemple attirer l'attention sur notre impact sur la biodiversité et le climat.

En conclusion, non on ne doit pas limiter la recherche scientifique, si par cela on entend interdire certaines questions, à mon avis. Par contre être conscient de la portée éventuelle de ce que l'on fait, et effectuer son travail de manière éthique, oui.

vendredi 14 juin 2013

Chercheur et expatrié

immigrationLe Monde ayant lancé un appel à témoignage "Vous êtes chercheur et expatrié", j'ai répondu en développant un peu ce que j'avais écrit il y a un moment sur le blog de Tom Roud:

Je suis professeur à Lausanne, après avoir été maître de conférences titularisé en France. Après un détachement aux Etats-Unis, j'ai voulu rentrer et démarrer une équipe dans un autre endroit que là d'où j'étais parti. Je me suis heurté à l'incompréhension de mes collègues, qui n'avaient pas le concept de jeune chef d'équipe, ni le concept d'arriver quelque part pour y créer un groupe. On m'a conseillé de candidater au CNRS, où on m'a fait comprendre que les postes n'étaient pas pour les maîtres de conférences, qui n'avaient qu'à rester chez eux. Et là d'où je venais, on m'a fait des promesses sans aucun suivi concret.


A coté de tout ça, à Lausanne on m'a proposé une offre claire : un poste de prof avec mon groupe à constituer, un financement de départ significatif, un enseignement raisonable et correspondant à mes compétences, et 4 ans pour me prouver et être titularisé sur critères clairs de publications et d'enseignement.


Je suis désolé de de dire que je ne regrette pas du tout mon choix. Chaque fois que je participe à un comité en France, je retrouve des collègues géniaux mais un système trop complexe et fermé.

vendredi 7 juin 2013

Combien de changements de paradigmes en biologie ?

[caption id="attachment_1031" align="aligncenter" width="122"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn est l'un des deux philosophes des sciences dont les idées ont modifié l'idée que les scientifiques ont de leur métier je pense, l'autre étant Popper. Si on parle avec des philosophes des sciences, leurs idées sont largement abandonnées, mais elles restent influentes en science. En super bref, Popper a proposé qu'une hypothèse scientifique devait être falsifiable. Et Kuhn a proposé que la science progresse avec deux modes : le mode normal, dans le cadre d'un paradigme qui impose certains questions comme pertinentes, et certaines hypothèses comme raisonnables, et le mode révolutionnaire, de changement de paradigme. Exemples de changement de paradigmes (les seuls qui sont dans Kuhn pour autant que je me rappelle) : passage de la physique aristotélicienne à la physique newtonienne, puis à la physique einsteinienne. Ah oui ils étaient tous les deux à fond branchés exemples de physique Popper et Kuhn, la biologie n'était pas encore à la mode, ça avait une image de collectioneur de papillons.

Récemment Dan Graur s'est amusé à compter le nombre d'articles de biologie et médecine se réclamant d'un changement de paradigme :
In 2012 alone, there were 23,800 scientific articles with the term “paradigm shift” in them. Of these, 463 had “paradigm shift” in the title. (These numbers are underestimates as the searches could not identify phrases such as “shifting the paradigm,” “the current paradigm has been overthrown,” or even simple plurals and changes in word order.)

P'tain ! Au bas mot 463 changements de paradigme en biologie en une seule année ! Trois possibilités évidentes : on assure trop, la science avance super vite ; on ne sait pas ce qu'on fait, du coup on change tout le temps de paradigmes mal ficelés ; ou le terme est légèrement galvaudé. Dan penche en faveur de la troisième hypothèse.

Dan ne voit que 4 changements de paradigme dans l'histoire de la biologie : Mendel, Darwin, Kimura, et Hamilton. Explication de texte :

  • Mendel a découvert les lois de la génétique.

  • Darwin a découvert la sélection naturelle et en a profité pour démontrer l'évolution et les relations phylogénétiques entre être vivants.

  • Kimura a découvert la théorie de l'évolution moléculaire neutre. Là ça devient un peu plus technique. Ce que ça dit c'est qu'au niveau de l'ADN et des protéines, la plupart des changements qui sont conservés en évolution le sont par hasard, et que la sélection naturelle ne joue qu'un rôle mineur, d'un point de vue quantitatif. Alors que la biologie évolutive depuis Darwin a eu tendance à se concentrer sur l'explication par la sélection naturelle des adaptations. On va revenir sur cette histoire.

  • Hamilton a montré qu'il n'y a pas besoin de mécanismes compliqués et improbables de sélection de groupe pour expliquer des choses telles que les insectes sociaux, la maintenance du sexe, ou l'altruisme, mais que de la sélection naturelle bête et méchante sur les gènes sufisaient. C'est un peu le contraire de Kimura, le gène est une abstraction dont le support moléculaire n'est pas important, et tout s'explique par la sélection naturelle. Ca n'est pas pour autant que l'un est vrai et l'autre est faux (faut pas croire tout ce qu'on lit dans Dawkins), ils solvent des questions différentes qui se posent à des niveaux d'organisation différents.


Je répondis à Dan sur mon blog anglophone, en disant que Darwin d'accord, mais les trois autres pas trop. Dans l'optique où un changement de paradigme c'est un changement total du cadre dans lequel une science pose ses questions et met ses résultats en contexte, oui c'est clair pour à-peu-près tout le monde je pense que Darwin est l'unique figure incontestable de l'histoire de la biologie qui a eu un impact comparable à Newton en physique. Tous les éléments épars ont fait sens ensemble, des faits qui étaient sans importance sont devenus pertinents (la similarité des espèces sur une île et le continent proche par exemple), et de nouvelles questions sont devenues pertinentes. A mon sens, nous travaillons toujours dans ce paradigme à ce jour, et c'est dans ce sens que j'ai écrit que Kimura ou Hamilton n'ont pas fait de changement de paradigme.

Je trouve aussi les exemples de Dan très biaisés vers la biologie évolutive, et pour moi il y a eu un autre changement majeur de paradigme en biologie, c'est l'abandon du vitalisme, l'idée que le vivant a des propriétés spéciales non réductibles à la physique et la chimie. Le vitalisme a mis très longtemps à être abandonné, de la synthèse de l'urée à partir de composants non issus du vivant, à la démonstration que la molécule d'ADN porte l'information génétique. Il n'y a donc pas une jolie date, un livre, et un vieux monsieur à mettre à coté de Newton, Darwin et Einstein. Mais c'est à partir du moment où l'on abandonne le vitalisme que les questions telles que "quel est le support moléculaire de l'hérédité ?" font sens. De là le succès de la biologie moléculaire. (Maintenant que j'y pense, en Europe on n'a pas trop de créationistes, mais la tendance anti-science de la gauche est assez proche du vitalisme finalement. Hum, bref, revenons à nos moutons.)

S'en est suivi un des ces débats épistolaires dont le monde académique a le secret depuis les Lumières, sauf qu'avec Twitter et les blogs ça a bien pris 24h. Plusieurs collègues pensent que Dan et moi sommes coupables de prendre le terme "paradigm shift" de manière trop restrictive, et que de nombreux changements à plus petite échelle en sont aussi. Par exemple pour Nicolas Le Novère cite le remplacement de la physiologie (étudier le tout) par la biologie moléculaire (étudier les parties séparément), et maintenant l'arrivée de la biologie des systèmes, qui remet les morceaux ensemble. Plusieurs collègues dont moi-même pensent que ces changements-là sont davantage techniques que conceptuels. A son grand crédit Nicolas a fait le super dessin ci-dessous, par analogie avec différents modèles de génétique des populations :

[caption id="" align="alignnone" width="512"] Représentation sympa de la différence Popper / Kuhn dans le progrès de la connaissance, prise du blog de Nicolas Le Novère (cliquez pour aller au blog).[/caption]

Lorsque, sur conseil d'une collègue philosophe, je suis allé voir sur le site de référence en philosophie la définition des changements de paradigme à la Kuhn, j'ai découvert que c'est le bazar. Kuhn a donné apparemment des définitions incohérentes d'une fois sur l'autre, et les philosophes ne sont pas d'accord pour savoir si ces changements existent ou pas du tout, ne parlons pas de leur fréquence. En biologie c'est pire, et de manière intéressantes les philosophes sont d'accord avec nous que Darwin c'est clair et la biologie moléculaire ça ne l'est pas.

Un point intéressant dans la discussion sur twitter et les commentaires de blogs concernait Kimura. Plusieurs personnes ont fait remarquer que sa théorie neutraliste de l'évolution moléculaire avait changé l'hypothèse nulle en évolution au moins en ce qui concerne l'ADN et les protéines. L'hypothèse nulle, c'est ce que l'on suppose vrai jusqu'à preuve du contraire. De Darwin et surtout Fisher à Kimura, l'hypothèse nulle était que tous les phénomènes que nous observions en biologie s'étaient mis en place sous l'action de la sélection naturelle. Kimura a démontré mathématiquement que le plus probable c'est que la plupart des changements moléculaires sont fixés en évolution par hasard, ce que l'on appelle l'évolution "neutre" (ni bon ni mauvais pour l'organisme). Du coup en évolution moléculaire, nous supposons en effet que les changements sont neutres jusqu'à preuve du contraire. Même que trouver la preuve du contraire est une grosse part de notre activité. L'autre part c'est rafiner nos connaissances de l'hypothèse nulle : des changements neutres ne sont pas forcément complètement aléatoires.

Bref tout ceci m'amène à comprendre quelque chose que j'ai lu sur des forums quand le web était jeune et qu'on lisait les newsgroups dans son outil mail, à savoir la mise en relation de Kimura et de Gould comme tous deux anti-Darwiniens. Gould a notamment proposé que le plus gros de l'évolution des espèces sur les temps géologiques était du bruit n'allant nulle part, menant à une stase morphologique, et qu'il y avait de temps en temps de épisodes "ponctués" d'évolution morphologique rapide. Il a aussi critiqué la tendance des biologistes évolutifs de toujours inventer une histoire "darwinienne" pour tout expliquer, alors que beaucoup de caractères morphologiques selon Gould s'expliqueraient par des contraintes structurales (on ne peut pas avoir des gènes qui mettent des seins chez les femmes sans faire aussi des tétons chez les hommes, genre). Quand j'étais en thèse, la comparaison des deux m'énervait, vu qu'ils ne décrivent pas la même chose. Mais en effet, le point commun des deux contributions est de changer l'hypothèse nulle. Aussi bien chez Kimura que chez Gould, la sélection naturelle a la charge de la preuve, le chercheur doit chercher à la démontrer dans le contexte d'une hypothèse nulle qui n'est pas sélective. De manière intéressante, les travaux plus récents de Michael Lynch sur l'origine de la complexité des génomes rejoignent les deux, puisqu'il explique que des génomes peuvent devenir plus et plus complexes en l'absence de sélection naturelle le favorisant (et même quand c'est défavorable en fait).