samedi 31 mai 2014

Quel est le coût environnemental du tabac ? #NoTobacco

[caption id="attachment_2033" align="aligncenter" width="150"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Aujourd'hui c'est la journée mondiale sans tabac, et je m'étais promis de faire un billet à cette occasion. Mais voilà, manque de temps, je m'y prends à la dernière minute. Avertissement donc : j'ai essayé de faire attention à mes sources, mais ceci n'est pas un billet super bien recherché. N'hésitez pas à me signaler les erreurs ou de meilleures sources d'information.

Bref, le tabac, on sait tous que c'est un poison, on a déjà évoqué que la nicotine est un insecticide "naturel", et on peut se moquer jusqu'à la fin des temps des anti-OGM qui fument. Mais je me posais la question également de son impact environnemental : le tabac prend de bonnes terres agricoles, et est en grande partie consommé ailleurs qu'il n'est produit, donc est transporté de manière polluante.

D'après le site tobaccoatlas.org, il semble que le tabac soit cultivé sur 3,8 millions d'hectares, dans 124 pays. Bien sûr il y a une grosse variation entre pays, et on constate certains pays pauvres dans lesquels le tabac sert d'exportation alors que la population est sous-nourrie, comme le Zimbabwe ou le Malawi. Le plus gros producteur mondial étant la Chine. Il semble aussi que 10 à 20 millions de personnes puissent être nourries grâce aux terres utilisées par le tabac.

En faisant une recherche de la litérature scientifique, je trouve notamment ceci :


Results The selected studies documented many negative environmental impacts of tobacco production at the local level, often linking them with associated social and health problems. The common agricultural practices related to tobacco farming, especially in low-income and middle-income countries, lead to deforestation and soil degradation. Agrochemical pollution and deforestation in turn lead to ecological disruptions that cause a loss of ecosystem services, including land resources, biodiversity and food sources, which negatively impact human health. Multinational tobacco companies' policies and practices contribute to environmental problems related to tobacco leaf production.



Tob Control 2012;21:191-196 doi:10.1136/tobaccocontrol-2011-050318

Dans un article plus ancien du même journal, je trouve que ≈200'000 ha de zones boisées sont déforestées pour la culture du tabac par an, soit 1,7% de la déforestation mondiale, 4,6% de celle des pays concernés. Il semble qu'une grande partie soit due à l'usage du bois comme carburant dans la préparation du tabac.

J'ai du mal à trouver des chiffres sur l'impact du transport du tabac, mais en 2000, d'après l'organisation mondiale de la santé, 200 millions de tonnes de tabac auraient été exportées.

J'aimerais entendre ceux qui sont contre la monoculture, ceux qui sont contre l'agriculture d'exportation, ceux qui sont contre l'agriculture productiviste, ceux qui sont contre la déforestation, ceux qui sont concernés par les risques potentiels dans les produits en vente chez nous et ailleurs, j'aimerais les entendre tous condamner sans équivoque le tabac.

Je n'ai même pas mentionné la pollution causée par les mégots jetés n'importe où, avec leurs cancérigènes.

Rappel du coût / bénéfice : le seul produit légal qui tue 50% de ses consommateurs, impact environmental particulièrement dans des pays pauvres / aucun bénéfice.

mardi 13 mai 2014

Résumé grand public de projet "Recherche bioinformatique d'évolution adaptative dans le développement des vertébrés"

[caption id="attachment_2008" align="aligncenter" width="150"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Pour mon nouveau projet de recherche dont le financement a été accepté par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (SNF), je dois fournir un résumé grand public, en français, allemand ou italien. On va dire français, et je vous met ici ce que j'ai écrit. D'abord à titre d'information, et ensuite parce que des retours sur la lisibilité du truc pour les non spécialistes seront les bienvenus.

Je doit suivre le format imposé par le SNF :

Lead

Les espèces animales diffèrent dans leur anatomie, et certaines de ces différences constituent des innovations évolutives remarquables, à petite échelle comme des changements de forme des dents, ou à grande échelle comme la mise en place d'ailes ou de poils. Ces différences doivent être codées dans le génome, et d'ailleurs certains cas particuliers sont bien connus.

Contenu et objectifs du travail de recherche

Le point de départ de ce projet est l'observation que les gènes actifs dans la fin du développement embryonnaire ou au début de la vie extra-embryonnaire (larve, nouveau-né) de différents vertébrés évoluent très rapidement. Cette évolution rapide concerne aussi bien la séquence des protéines que la régulation des gènes, ainsi que la perte ou le gain de nouveaux gènes. Or c'est aussi à ces stades de la vie que se mettent en plance les structures anatomiques qui varient entre espèces. Nous partirons d'une part des gènes dupliqués, source potentielle d'innovation, et d'autre part des gènes spécifiquement actifs à la fin du développement embryonnaire.
Nous chercherons à déterminer quelle part des ces changements évolutifs sont des adaptations, c'est-à-dire améliorent l'adaptation de l'animal à son environnement et procurent un avantage évolutif. En effet l'évolution rapide peut être due, soit à l'adaptation, soit au manque de contraintes, c'est-à-dire une accumulation de changements sans conséquences notables. Pour cela, nous utiliserons les outils bioinformatiques développés dans notre laboratoire et ailleurs, et les données de génomique disponibles. Nous considérerons les changements évolutifs à tous les niveaux, de la séquence d'ADN à la protéine et ses interactions en réseaux.

Contexte scientifique et social du projet de recherche

Le projet relève de la recherche fondamentale. Il permettra de mieux comprendre comment se mettent en place les innovations dévelopmentales, et donc anatomiques, dans l'évolution. Nous visons à utiliser la génomique pour réconcilier deux approches de la biodiversité qui s'opposent ou s'ignorent depuis plus de deux siècles : le structuralisme, qui met l'accent sur l'anatomie, et le fonctionalisme, qui met l'accent sur l'adaptation. Dans ce projet nous améliorerons aussi des projets bioinformatiques qui seront utiles plus largement en recherche biologique et médicale.

jeudi 8 mai 2014

Mes philosophes de la biologie préférés : clairs et rigoureux

[caption id="attachment_1981" align="aligncenter" width="150"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Il y a deux billets que j'ai bien aimé sur le blog "Philosophie des sciences" : Les électrons existent-ils ? (1/2) Réalisme et sous-détermination et Les électrons existent-ils ? (2/2) Changements théoriques et réalisme structural. Après avoir signalé sur Twitter que j'aimais ces billets, l'auteur m'a répondu :

Et c'est vrai que ces billets, comme beaucoup de la philosophie des sciences "classique", s'appuient beaucoup voire exclusivement sur des exemples empruntés à la physique. Or ceci n'est pas juste une question d'exemples, mais cela influence les questions posées. Pour Kuhn ou Popper (voir ce billet) et beaucoup d'autres les questions posées par "la science" à "la philosophie" sont les questions posées par la physique. J'admet que la physique de la première moitié du 20ème siècle soit un objet de fascination intense, mais la biologie depuis le milieu du 20ème (en gros, ADN et synthèse néo-Darwiniste) dépote sérieusement, et pose des questions différentes.

Donc en réaction à ce petit échange Twitter, voici quelques philosophes dont je trouve l'apport positif. A savoir qu'ils ont éclairci des points pertinents à mon travail.

Le plus grand à mon avis : Eliott Sober. Il a écrit de nombreux excellent articles et livres, et je suis tombé sur lui la première fois en cherchant sur internet si d'autres que moi avaient pensé que l'Intelligent Design (créationisme relooké) était essentiellement un problème de probabilités conditionnelles (bien sur que d'autres y avaient pensé, dont Sober). Bref, Sober a beaucoup écrit (et pensé) sur les questions philosophiques posées par l'évolution. Je recommande en particulier un livre : Evidence and Evolution: The Logic Behind the Science. En quelques chapitres ultra clairs il explique quelles types d'évidence on peut utiliser dans une science de type historique comme l'évolution, ce que l'on peut savoir et avec quelle confiance, et montre en passant où les créationistes se trompent. C'est grâce à ce livre que j'ai pour la première fois vraiment compris la différence entre approches fréquentiste, vraisemblance et bayesienne des statistiques. Parmi ses nombreuses contributions, j'avais bien aimé aussi la discussion avec un mathématicien appliqué à la biologie sur le fait de pouvoir tester l'hypothèse d'un ancêtre commun à tout le vivant (Sober & Steel 2002).

Deux autres philosophes que j'apprécie pour un livre en particulier chacun :

Samir Okasha, pour son livre "Evolution and the Levels of Selection", où il illustre brillamment que les philosophes peuvent être utiles aux scientifiques (pas qu'ils aient une obligation envers nous hein). La querelle sur la possibilité et l'efficacité potentielle de la sélection naturelle à différents niveaux d'organisation a été compliquée par une confusion effroyable sur la terminologie, des questions mal posées, et des erreurs de logique cachées dans des raisonnements compliqués. Par niveaux d'organisation, on entend : la sélection naturelle peut-elle agir siur la population ou l'espèce, ou seulement sur l'individu ou le gène (même entre ceux-là il y a parfois des débats confus) ? Okasha clarifie tout cela magistralement, et montre sous quelles conditions de la sélection apparemment de groupe est vraisemblable, et ce que cela veut réellement dire.

Et Ron Amundson pour The Changing Role of the Embryo in Evolutionary Thought: Roots of Evo-Devo. Bien qu'il soit un philosophe, il fait ici un travail d'historien, en faisant un historique de la tension entre deux approches de la biologie évolutive : l'approche structuraliste et l'approche fonctionaliste. Les deux ont leur origine dans l'étude de la diversité des espèces bien avant Darwin. L'approche structuraliste est issue de la morphologie comparée et de l'étude du développement, très importante au 19ème surtout en France et en Allemagne (par exemple Haeckel), et a été largement éclipsée lors du triomphe du néo-Darwinisme anglo-américain du milieu du 20ème. Elle veut savoir pourquoi et comment il y a des formes différentes. L'approche fonctionaliste est historiquement surtout anglaise, et Darwin puis le néo-Darwinisme de la génétique des populations sont fonctionalistes. Elle veut savoir pourquoi les choses sont adaptées, pourquoi elles marchent si bien. L'un demande pourquoi les tétrapodes ont tous 4 pattes et les insectes 6, l'autre demande comment des tétrapodes peuvent les uns voler, les autres nager. Le structuralisme est revenu à la mode à partir des années 1990 avec l'Evo-Devo, étude des mécanismes génétiques et moléculaires sous-tenant les similarités et différences anatomiques entre espèces. Amundson pense que ces deux approches ne peuvent être conciliées parce qu'elles posent des questions différentes. C'est la première référence bibliographique du projet de financement que j'ai écrit en septembre dernier (et qui a été financé, merci). Sauf que j'argue qu'Amundson a tort, et que la génomique permet de réconcilier les deux approches. A développer un de ces quatre sur le blog.

A noter un point commun de Sober et Okasha : ils n'ont pas peur des équations. Pas seulement de les montrer, mais de les démonter, de les comprendre vraiment avec leurs implications et leur pouvoir clarificateur. Et tous les trois avec Amundson n'ont pas peur d'aller dans le détail de la science qu'ils veulent comprendre, et le cas échéant de montrer des erreurs des biologistes de manière justifiée.

A noter aussi que même si j'ai mis en avant Amundson et Okasha pour un livre chacun, ils ont de nombreuses autres contributions, et Okasha notamment est considéré comme un interlocuteur important en biologie théorique. A noter aussi de Okasha un petit livre sympa : Philosophy of Science: A Very Short Introduction. Il écrit moins bien que Sober mais c'est pas un nul.

Il faut finalement que je mentionne Michael Ruse, l'un des philosophes de la biologie les plus connus (le plus connu ?). Il est très Darwinien, et descend en flèche de manière que je trouve injustifiée tous ceux qui osent critiquer l'orthodoxie néo-Darwinienne à la Dawkins. Il écrit super bien, mais je trouve qu'il manque de rigueur, et donc je n'aime pas.

Voilà, un peu de lecture pour vos longues soirées de printemps, et des idées de billets de blog pour le jour improbable où j'aurais le temps de développer chacun de ces points. Haha.

mardi 6 mai 2014

Le saumon #OGM qui grandit très vite présente-t-il un risque pour l'environnement ?

[caption id="attachment_1974" align="aligncenter" width="150"]cliquez sur l'image (dessin du Podcast science) cliquez sur l'image (dessin du Podcast science)[/caption]

Dans mon Podcast Science sur les OGM, j'ai mentionné le cas de saumons OGM grandissant plus vite en aquaculture. Suite à cela, un collègue m'a fait passer un papier de 2004, où les auteurs ont étudié le même type d'OGM que fait dans les saumons, mais dans une autre espèce de poisson, le medaka. Les mâles OGM plus gros ont un avantage de sélection sexuelle, donc ont davantage d'enfants que les plus petits, mais leurs enfants survivent moins bien. En introduisant ces paramètres dans un modèle mathématique de dynamique de populations, ils trouvent que grâce à l'avantage des mâles, le gène OGM envahit une population, mais qu'ensuite la population s'éteint à cause du désavantage qu'apporte ce gène sur la viabilité.

[caption id="" align="alignnone" width="320"] saumon de Wikipedia[/caption]

[caption id="" align="alignnone" width="320"] medaka de Wikipedia[/caption]

Ce papier est intéressant, et pose des questions importantes pour la manipulation de la croissance des poissons. Mais les conclusions dépendent de données expérimentales sur le medaka, qui n'est pas un saumon, au labo pas dans la nature, et de la modélisation utilisée. Du coup j'ai cherché à en savoir plus, et voici le résultat de cette recherche.

Dans un autre article, de 2007, on trouve qu'en conditions typiques d'aquaculture, les saumons OGM grandissent trois fois plus grands que les non OGM dans le même temps. Quand ces saumons géants sont mis en conditions simulant la nature, ils ont un impact prédateur très important. Par contre, quand ils sont élevés du départ en conditions simulant la nature, ils ne sont plus grands que de 20%.

Dans un article de 2010, trois types de saumons ont été mis en compétition pour la reproduction en milieu immitant la nature (courant d'eau, cailloux au fond) : des sauvages, des issus de ferme non OGM, et des issus de ferme OGM. Les "cultivés" non OGM ont des mâles plus petits, et n'ont produit que 11% à 14% des petits, en partant de 50-50 cultivés - sauvages. Quand on utilise des cultivés OGM, ils sont plus grands mais sont nuls en reproduction, et ne produisent que 2% à 6% des petits. Un autre article de 2011 observe des résultats similaires, mais conclut :
Although transgenic males displayed reduced breeding performance relative to nontransgenics, both male reproductive phenotypes demonstrated the ability to participate in natural spawning events and thus have the potential to contribute genes to subsequent generations.

Dans un article très intéressant de 2013, les auteurs montrent d'abord que le saumon OGM Salmo salar (saumon atlantique) peut s'hybrider avec l'espèce proche Salmo trutta (truite brune ; truites et saumons ne sont pas des groupes taxonomiques à proprement parler, mais on s'éloigne du sujet là). S'hybrider, cela veut dire en l'occurrence que ces deux espèces proches peuvent se reproduire et avoir des petits viables. Et surtout, ils comparent les hybrides avec les deux types parents, S. trutta sauvage et S. salar OGM. Déjà, surprise, l'hydride grandi plus vite que les deux autres types en conditions d'aquaculture. Et surtout, lorsqu'on mélange dans des conditions simulant la nature hybrides, S. salar OGM et S. salar sauvage, les hybrides ont un avantage sélectif net, baissant la croissance des deux autres types de 82% et 54%. Ceci implique que si des saumons OGM s'échappent dans la nature, et se reproduisent avec des saumons sauvages, c'est leur progéniture (les hybrides) qui risque de poser problème.

A noter qu'il y a une réponse publiée à cet article, qui fait notamment remarquer qu'ils ont élevé les saumons hybrides en conditions d'aquaculture, et non en conditions immitant la nature. Donc on ne sait pas comment les hybrides se débrouilleraient dans des conditions plus difficiles (par exemple nourriture limitée). A noter la déclaration de conflits d'intérêts de cette réponse, mais la remarque reste valide :
I was Vice President for External Affairs at Aqua Bounty Technologies from 2001 to 2008, where I had responsibility for preparing an environmental impact assessment of the commercial use of transgenic Atlantic salmon. I have no present or continuing affiliation with or financial interest in the company.

Par ailleurs, et comme me le faisait remarquer un collègue, aucune de ces études ne semble modéliser la survie à l'hiver, qui devrait logiquement pénaliser les saumons OGM à croissance rapide.

Alors que conclure de tout cela ?

A mon humble avis, il n'est pas démontré que le saumon OGM à croissance rapide (on peut imaginer d'autres saumons OGM qui auraient des propriétés complètement différentes, voir billet "les OGM n'existent pas") présente un risque environnemental, mais ce risque reste possible, et en l'état des connaissances pas improbable. Donc je dirais que l'on est dans un cas où le principe de précaution peut s'appliquer de manière justifiée et rationnelle : ne pas cultiver ces saumons à grande échelle avant d'en savoir plus.