vendredi 1 septembre 2017

CRISPR-Cas est-il larmarckien ?

Suite à un tweet de Sacha Schutz (bloggeur cafe-sciences aussi), j'ai eu une petite discussion Twitter sur CRISPR-Cas et le larmarckisme. Cela me donne une bonne excuse pour reprendre ce blog.


Le point de départ est un article dans Médecine/Sciences sur le CRISPR "et évolution lamarckienne d’un système immunitaire adaptatif". Il y a eu toute une discussion sur Twitter, que vous pouvez aller lire, y compris avec l'un des auteurs, Patrick Laurenti. Et vous pouvez suivre les liens de l'article Médecine/Sciences pour les explications sur CRISPR-Cas.

Qu'est-ce qui me gène dans cet article ? Il utilise une définition courante du lamarckisme, à savoir l'hérédité des caractères acquis. Mais l'hérédité des caractères acquis était la théorie dominante en génétique, avec l'hérédité par mélange, avant pendant après Lamarck, ça ne lui était pas spécifique. C'était d'ailleurs explicitement défendu par Darwin. A tel point que lorsque les lois de Mendel ont été redécouvertes, il a fallu pas mal d'efforts pour convaincre les biologistes que Mendel et Darwin étaient compatibles (Wikipedia en anglais est bien là-dessus). (Si on veut être pédant, on peut aussi noter que la fameuse séparation lignée germinale - lignée somatique n'existe pas chez les plantes, qui pourtant ont joyeusement de l'évolution darwinienne.)

On peut rappeler en passant que la théorie de Lamarck n'a eu aucun impact sur la recherche en biologie, et n'est donc pas une erreur féconde ou importante. Je pense qu'on ne s'en rappelle que parce que c'est un outil pédagogique pour enseigner l'évolution darwinienne.

Ceci dit, si on veut discuter du lamarckisme, il faut noter qu'il est basé sur deux forces, ou tendances, supposées du vivant :

  • une tendance à se complexifier (qui est fausse mais expliquerait pourquoi on voit des animaux et plantes complexes) ;

  • une tendance à l'adaptation (qui expliquerait que les organismes soient adaptés à leur environnement – ce qu'explique la sélection naturelle au final).


CRISPR-Cas présente un cas intéressant où, pour une adaptation très spécifique et limitée, il peut y avoir des mutations héréditaires qui sont préférentiellement celles qui sont utiles, ce qui penche en effet un peu dans le sens de la deuxième force de Lamarck. Toutefois, il reste que même lorsque de l'ADN externe est incorporé en priorité à l'ADN de la bactérie que dont on cause de son CRISPR, il n'y a pas biais à ma connaissance vers de l'ADN de pathogènes dangeureux pour la bactérie. La probabilité de la mutation ne dépend pas de son effet sur la bactérie.

Et puis il n'y a toujours pas tendance à la complexification.

Donc je pense qu'appeler le CRISPR-Cas lamarckien, en invocant une théorie qui n'a jamais été utile, ne rend pas service ni ne permet de clarifier les choses.

Voilà pourquoi je râlais sur Twitter.

La prochaine fois j'essayerais de bloguer quelque chose de plus constructif. ;-)

Note au 13 novembre : excellent article "Lamarck et Darwin : deux visions divergentes du monde vivant" par Jean-Claude Bregliano à L’Encyclopédie de l’environnement de l’Université Grenoble Alpes.