Je me méfie des révolutionnaires qui commencent par changer le nom de la police politique tout en augmentant ses prérogatives. Je me méfie des scientifiques qui veulent combattre les idées reçues en cachant leurs expériences et les détails de leurs résultats.
Il y a beaucoup à dire sur l'étude récente de rats nouris au maïs OGM, et d'ailleurs beaucoup est dit. Pour mes lecteurs qui ne verraient cette question que par une lunette idéologique (genre commentaires sur Passeur de sciences ou sur Biopsi), il y a une raison pour laquelle plein de scientifiques sont fachés avec cet article : c'est de la mauvaise science qui reçoit plein de pub (excellent commentaire sur bacterioblog). C'est un peu pareil que pour ENCODE, sauf que là vous n'aviez pas fait attention, et que ENCODE c'est 1000 fois mieux fait. Bon, vu les réactions chez Biopsi, si vous ne voulez pas me croire, vous ne me croirez pas. Mais si, ça existe la mauvaise science.
Un point abordé chez Biopsi, et sur lequel je voudrais revenir, c'est la publication fermée de cet article. Car enfin, il paraît que tout ceci a été fait pour éclairer le peuple et les décideurs, et mettre fin au règne maléphique de la pseudo-science manipulée par les multinationales, et que font les auteurs ?
- L'étude a été faite en secret. Apparemment sinon les gros bras de Monsanto seraient venu faire exploser le labo ou quelque chose comme ça.
- L'article a été fourni à quelques journaux très peu à l'avance, à la condition de ne pas le montrer à qui que ce soit. Y compris donc ne pas le montrer à d'autres scientifiques pour avoir leur opinion sur les travaux et les résultats. Ce qui est très choquant, et veut dire que les journalistes avaient le choix entre écrire un article à temps pour l'évènement, mais sans aucune information ou expertise externe, ou attendre et publier plus tard. Ce qui veut dire que tout le buzz le jour J était forcément mal informé. Excellente politique de communication scientifique, bien mise en pièces par l'excellent journaliste scientifique Carl Zimmer sur son blog.
- L'article est publié dans une revue disponible uniquement sur abonnement, donc pas accessible aux citoyens, aux militants, aux profs de lycée, aux journalistes, bref j'en ai déjà parlé ailleurs (et aussi ici), mais quand une étude est potentiellement si importante pour tout le monde, ça me paraît crucial de faire en sorte qu'elle soit le plus largement disponible possible. Ils auraient publié dans PLOS One, ça serait en copyright Creative Commons et librement disponible pour la planète (et en prime le facteur d'impact est plus élevé). Et là non seulement ça n'est pas chez PLOS, mais c'est chez Elsevier, le grand méchant loup de l'édition scientifique, la multinationale la plus grosse et la plus rapace du secteur. D'ailleurs chez PLOS, non seulement c'est libre d'accès, mais on peut ajouter des commentaires, et les liens Twitter sont montrés en temps réel à côté de l'article. C'aurait pas été bien ça, pour faire débat public ?
- Une pratique courante en science, où on ne peut souvent pas mettre toutes les données ou tous les résultats dans l'article lui-même, pour des raisons de place, est de fournir des "matériels supplémentaires", qui contiennent les détails des analyses ou des preuves, les tableaux de résultats bruts, l'intégralité des figures là où on n'a montré qu'un exemple dans l'article, etc. Vu le faible nombre de rats (donc de données), et l'importance que chacun puisse juger de ces résultats, c'eut été facile de le faire. Mais non. Pas de matériels supplémentaires ici. Comparons à ENCODE : 15 To de données publiquement disponibles.
- On doit généralement déclarer les "conflits d'intérêts" à la fin des articles. Ici, les auteurs n'en déclarent aucun, donc on en déduit que les résultats et leur publication n'ont aucune incidence financière personnelle pour eux. Sauf que Séralini, responsable de l'étude (et curieusement 1er auteur, en biologie d'habitude le responsable est dernier, mais bref), sort en même temps un livre et un film sur le sujet "OGM fait-moi peur". C'est pas un conflit d'intérêt, ça ? Ils l'auraient déclaré, ç'aurait augmenté leur stature morale à peu de coût. Mais non.
Toute ceci n'est qu'un aspect de cette affaire, et peut-être pas le plus important. Mais d'une part il me tient à coeur (et c'est mon blog ici), et d'autre part cet aspect est indicatif à mon sens de l'attitude générale de ces auteurs et de leurs soutiens, qui ne semblent pas tant chercher la vérité (une recherche généralement collective et ouverte), mais chercher à affirmer une position politique. Tiens, encore un parallèle, inquiétant celui-ci, entre biologie et économie.
Petite note supplémentaire : ça me frappe que tous les comptes Twitter et tous les blogs que je suis, sélectionnés parce qu'ils parlent de science de manière intéressante, sont critiques de cette étude. Je n'ai pas choisi de lire ces gens parce qu'ils sont pro-OGM, la grande majorité travaille dans des laboratoires fondamentaux sur fonds publics, pourtant je n'ai pas encore vu une défense raisonnée de l'étude. Sur ENCODE ou la bactérie à l'arsenic par exemple, y avait débat dans la communauté scientifique. Ici, non.
Deuxième note : pour ceux qui pensent qu'on est tous à la solde de Monsanto. D'abord, j'attends toujours le virement bancaire, à titre personnel. Contactez-moi directement merci. Ensuite, sérieusement, les industries poluantes dépensent beaucoup beaucoup pour faire de la propagande pseudo-scientifique anti changement climatique, et pourtant la très grande majorité des chercheurs dans le domaine montre que le changement se produit et est dû à l'activité humaine. Avec de l'argent, on peut facilement acheter une illusion de débat, on ne peut pas facilement acheter un consensus scientifique.
Mise à jour : trouvé un excellent commentaire francophone sur la manière dont les journalistes ont eu accès à l'article.
Mise à jour 2 : je ne suis pas toujours d'accord avec le traitement de l'info scientifique par Sylvestre Huet, mais là il fait plein dans le mile.
Mise à jour 3 : Jérémy @ChemPhilia me signale sur Twitter cet excellent article traitant du "syndrome de la recherche unique", tout à fait pertinent.