mercredi 21 novembre 2012

Signes que je suis vieux

[caption id="attachment_318" align="aligncenter" width="170"] cliquez sur l'image - je me rappelle des grunge sur le campus, hélas[/caption]

  • J'ai codé un parseur GenBank en C.

  • Hotmail, ça a été nouveau, branché, et n'appartenant pas à Microsoft.

  • Les gènes Hox, j'en ai entendu parler pour la première fois en projet biblio de 4ème année de fac.

  • Pour lire et écrire des emails, on tapait "mail" dans Unix.

  • Quand j'ai eu un disque dur de 500 Mo, je me suis demandé comment je le remplirait jamais.

  • Les fichiers contenant la séquence du génome de la mouche Drosophile ne pouvaient pas être décompressés sur un PC : au-delà de la taille de fichiers autorisée.

  • Heureusement qu'on avait des ordinateurs Sun.

  • J'ai contribué à des forums Usenet (qui n'appartenaient pas à Google, et auxquels on accédait par son client mail).

lundi 19 novembre 2012

M. Pierre-Henri Gouyon m'insulte et insulte mes collègues (#OGM #Seralini)

Je viens de découvrir un texte écrit par Pierre-Henri Gouyon sur le site Mediapart :

http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-henri-gouyon/191112/qui-seme-le-doute-recolte

Comme je ne vois pas le moyen de mettre de commentaire sur ce site sans payer d'abonnement, je vais répondre rapidement ici.

M. Gouyon, vous m'insultez.

Vous dites dans votre lettre que la communauté scientifique n'a réagi que parce que des scientifiques à la solde des entreprises ont fait de la propagande :
Ce qui s’est passé depuis quelques semaines, c’est simplement que les entreprises de biotech ont commissionné des scientifiques « amis », prêts à tout, pour démarrer l’attaque. Ceux-ci ont lancé des réactions tous azimut et ont fini par atteindre leurs collègues peu au fait des pratiques de ces organes de propagande, ou plus simplement naïfs quant aux fondements et au contexte du débat, ou parfois aussi intéressés à ce que les entreprises de biotechs, qui sont une source de financement importante des laboratoires n’aient pas d’ennuis

C'est un mensonge, et soit vous le savez, soit vous avez perdu le contact avec la réalité. Sur les blogs scientifiques, tenus par des passionés sans aucun contact avec les biotechnologies (voir liste à la fin de ce billet), nous avons été nombreux à noter les problèmes majeurs de cette étude. A nouveau, je connais plusieurs des auteurs, et moi-même je blogue sous mon vrai nom (me voici), et aucun lien avec la biotechno. Mais une passion pour la science honnête.

Et la raison pour laquelle cette étude a été si commentée, oserais-je vous la révéler ? Les auteurs de cette étude ont fait une pub énorme, comme on n'en voit presque jamais. Alors quand tout le monde parle d'une étude, et qu'elle est nulle, eh bin oui on dit qu'elle est nulle. Incroyable, non ? Il faut faire quoi ? Se taire quand les médias sont plein de pseudo-science ?

Je reviens sur mon titre. M. Gouyon, en écrivant que les réactions à l'article de Séralini et al sont dues essentiellement à la vénalité des chercheurs et à l'argent des biotechnologies, vous nous insultez tous. Vous insultez aussi les collègues dont vous dites qu'ils auraient signé l'une ou l'autre pétition, la première qu'ils auraient vu. Sérieux ? Vous pensez ça de vos collègues scientifiques ?

Excusez-vous et taisez-vous, ou apportez des preuves. Dans mon cas, vous aurez du mal, je vous préviens.

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PS: le livre Merchants of Doubt date de 2010, c'est un de mes livres préférés, et ça me fait mal de voir cet excellent travail de recherche sur la sociologie et l'histoire de la science si mal utilisé. Ce billet a été écrit très vite, mais il faudra que je vous fasse une liste des différences entre les cas amiante, tabac, etc, et celui-ci.

vendredi 16 novembre 2012

Broyons la phalange préhistorique de Denisova et séquençons tout cet ADN

[caption id="attachment_609" align="aligncenter" width="198"] cliquez sur l'image[/caption]

En 1858, Darwin qui préparait un gros livre sur la sélection naturelle reçut un manuscrit d'un jeune et prometteur naturaliste, Alfred Wallace. Lequel avait également découvert la sélection naturelle (mais moins bien démontrée et détaillée, c'est une autre histoire). Du coup Darwin s'est dépéché de publier un "résumé", ce que l'on connaît aujourd'hui comme "L'origine des espèces".

Tout ça pour dire que je préparais à pas de sénateur un billet sur les nouveaux résultats concernant le génome de Dénisova quand, paf, le blog Science étonnante publie un excellent billet sur le sujet.

Voyons quand même ce que j'ai encore à dire.

Rappelons donc que les hominidés de Denisova sont une espèce d'hominidés (comme Homo sapiens - vous et moi - ou Homo neanderthalensis) connus par à peine quelques maigres morceaux d'os et de dent découverts en Sibérie. Il y a plein d'éléments intéressants dans cette histoire, et l'un d'entre eux c'est qu'on a découvert cette espèce en séquençant ses restes d'ADN. En effet, les restes d'os sont trop fragmentaires pour permettre de les distinguer de sapiens ou Néandertal.

En 2010, les super-duper-généticiens de l'ancien ADN du groupe de Svante Pääbo ont extrait de l'ADN de phalange, et en ont séquencé assez pour démontrer qu'il s'agissait d'une nouvelle espèce, plus proche de Néandertal que de nous, mais très loin de Néandertal quand même. En octobre de cette année, ils ont séquencé un génome de haute qualité de Denisova. Comment ont-ils fait cela ? Normalement, les restes d'hominidés anciens contiennent beaucoup plus d'ADN moderne (contaminant) que d'ADN ancien. Mais un morceau de la phalange de Denisova contenait ~70% d'ADN ancien ("endogène"). Les chercheurs ont mis au point une nouvelle méthode d'amplification de cet ADN, nettement plus efficace que les méthodes précédentes. En bref, l'ADN double brin (la double hélice, ça vous dit quelque chose ?) est séparé en ses deux brins, qui sont chacun lié à une bille, ce qui permet ensuite une réaction chimique plus efficace dans un petit volume ; on copie ensuite l'ADN simple brin en double brin, et voilà, on a doublé l'ADN. On rince et on recommence. Le protocole ne nécessite pas de purification de l'ADN au départ, ce qui permet de perdre moins de matériel.

Comme dit dans Science étonante, ceci leur a permis de dater à-peu-près la divergence humain moderne - Denisovien. Pour cela, ils ont compté les différences dans l'ADN entre humain et chimpanzé, qui divergent depuis environ 6,5 millions d'années, entre Denisovien et chimpanzé, et entre humain et Denisovien. La divergence Denisovien - chimpanzé a commencé en même temps que la divergence vous-et-moi - chimpanzé, mais a duré légèrement moins longtemps : 6,5 millions d'années moins l'age de la phalange. Si on suppose que les mutations s'accumulent régulièrement au cours du temps dans l'ADN, alors on peut calculer l'age de la phalange à partir de l'ADN :

(Homo sapiens - chimpanzé) - (Denisova - chimpanzé) = age de Denisova

Ils calculent donc un âge de 74'000 à 82'000 ans, ce qui est apparemment en accord avec l'archéologie, bien qu'ils mettent en garde contre les erreurs possibles (taux de mutation variable ou mal estimé). Et le commentaire dans Science dit que les échantillons étaient datés à 30'000-50'000 ans, ce qui n'est pas tout-à-fait la même chose. A suivre quand on aura plus de génomes anciens de bonne qualité comme celui-ci.

Comme expliqué chez Science étonante, la comparaison Dénisova - néandertal - humains modernes leur permet de raffiner l'esimation du taux de gènes humains venant de néandertal : même si européens et asiatiques ont tous deux des ancêtres qui ont fait crac crac avec les néandertals, le taux de variants géniques (allèles) néandertal est 24% plus élevé chez les asiatiques.

Les auteurs ont par ailleurs cherché des morceaux de gènes (codant pour des protéines) qui soient invariants ou presque chez tous les primates y compris Denisova, mais différents chez les humains modernes. Parmi les 23 positions les plus significatives, 8 sont dans des gènes associés au cerveau. Ce qui est cool mais je trouve qu'il manque un peu de contrôles dans cette partie. Combien on en attend au hasard, connaissant la conservation moyenne de ces gènes, la vitesse d'évolution des génomes en question, etc ? J'ai l'impression qu'ils veulent absolument lier à notre super méga intelligence, au risque de rapporter des faux positifs. Ce qui ne veut pas dire que je suis convaincu qu'ils aient tort, mais je ne suis pas persuadé qu'ils aient démontré que ces gènes étaient réellement pertinents à l'évolution humaine.

Je voudrais maintenant aborder un point un peu différent.

En visitant des grottes préhistoriques ornées, on a souvent des histoires d'horreur de la manière dont ces restes très rares et fragiles ont été abimés (Lascaux bien sûr) voire détruits (Arcy-sur-Cure), sans mauvaises intentions mais avec moins de connaissances que l'on n'en a aujourd'hui. C'est facile de se scandaliser de ce qu'on fait des gens qui ne savaient pas mieux dans le passé. Mais du coup je suis mal-à-l'aise avec le fait de détruire pour toujours des restes d'ossements eux aussi très rares et fragiles, pour pouvoir séquencer l'ADN avec nos techniques imparfaites et en constante amélioration d'aujourd'hui. Et si dans 2 ou 5 ans on avait une technique permettant d'extraire et séquencer une seule molécule d'ADN sans abimer l'os ? Est-ce que dans 2 générations nos descendants ne vont pas nous maudir d'avoir laissé détruire ces restes pour obtenir des données partielles avec des techniques immatures ?

Alors j'ai vérifié, dans les papiers de 2010 et 2012 ils ont utilisé toute la portion interne de l'échantillon de phalange, soit 40 mg d'os. C'est pas des tonnes je vous l'acccorde. La répartition de cet os entre les contrôles, l'étude de 2010 ("draft genome") et celle de 2012 ("this work") est ci-dessous. Ca paraît raisonnable mais je reste mal-à-l'aise.

[caption id="attachment_618" align="aligncenter" width="862"] Figure en annexe du papier Denisovien 2012[/caption]

En conclusion, un magnifique exploit technique, de très intéressantes conclusions concernant l'évolution humaine, et un petit doute voire un regret de ma part sur notre capacité à détruire ce qui a résisté si longtemps.