mercredi 24 juin 2015

Un gène n'est pas un organisme, un #OGM n'est pas un hybride

[caption id="attachment_2835" align="aligncenter" width="176"]metaphysics Cliquez sur l'image : le monstre a-t-il une essence ?[/caption]

Et voilà que je parle encore d'OGM, car de quoi parle-t-on encore de partout ? D'OGM. Si vous ne venez pas de passer 2 jours en spéléo sans contact externe, vous avez entendu parler de la vente au public de la carcasse d'un agneau OGM. Bon résumés, comme déjà signalé, sur Sciences2 et Docteurjd.

Mon objectif ici n'est pas de revenir en détail sur cette histoire, mais d'en profiter pour rebondir sur un malentendu que l'on retrouve souvent lorsque l'on parle de génie génétique. Si un gène de méduse est transféré dans un agneau, cela n'en fait pas un hybride agneau-méduse. De même qu'un gène d'épinard transféré dans des orangers n'en fait pas des demi-épinards. Dans ce cas, il s'agit de transférer dans les orangers un gène de résistance à une bactérie. Les fruits ne seront pas verts, n'auront pas le goût d'épinard (et pas plus de fer, d'autant que les épinards et le fer c'est pas vraiment ça non plus mais bref).

J'ai trouvé une bonne analogie sur un blog de nourriture, The Odd Pantry : transférer un gène, c'est comme transférer une instruction d'une recette de cuisine. Ca n'implique pas forcément de transférer l'essentiel de la recette. Dans l'exemple de The Odd Pantry, l'auteure préparait de la lotion pour les mains maison, à base de cire d'abeille. Elle a eu l'idée de prendre la technique du bain-marie de sa recette de glaçage au chocolat pour faciliter les choses. Alors, cela en a-t-il fait une lotion au chocolat ? Une lotion glacée ? Y a-t-il eu mélange des deux recettes ? Non, une technique réutilisable dans différents contextes a été réutilisée.

Le gène GFP (green fluorescent protein - page Wikipedia mise à jour grâce à un de mes étudiants, que nous remercions) c'est pareil que la technique de bain-marie. En isolation, ça fait une chose, une protéine qui donne de la fluorescence verte. Quand elle le fait dans une méduse, ça donne une méduse fluo :

Aequorea victoria.jpg
« Aequorea victoria » par Mnolf — Photo taken in the Monterey Bay Aquarium, CA, USA. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

Si on le met dans un autre organisme (une bactérie, un mouton, une plante), ça rend cet organisme fluo. Mais ça ne lui transfère aucune autre propriété de méduse, aucune médusitude ou médusocité.

Parce que, et c'est là un point important, du point de vue génétique la médusitude n'existe pas. Une méduse est le résultat d'un programme génétique complet effectué dans un oeuf de méduse. Et un bout de ce programme n'est pas coloré (oserais-je dire contaminé ?) par le produit final ni pas le reste du génome. C'est bien pour ça que de nombreuses espèces peuvent échanger des gènes, c'est pour ça que le programme réductioniste de la biologie moléculaire est en grande partie un succès (billet sur le réductionisme).

Attention, je ne dis pas qu'il n'y a pas des interactions (vous avez lu le billet sur le réductionisme ?). La biologie, c'est compliqué, hein, on parle pas physique amusante ici. Mais dans les cas où le produit d'un gène a une fonction bien autonome, ce qui arrive, cette fonction de comprend pas d'essence de l'espèce dont le gène provient. Les espèces n'ont pas d'essence, et les gènes ne portent pas d'essence d'espèce. C'est vraiment important, je me répète. Je pense qu'une grande partie des incompréhensions sur les OGM et plus généralement la génétique vient d'une idée intuitive mais erronée de l'identité essentielle de chaque espèce (et de la "nature" elle-même).

Exemple à discuter pour la prochaine fois : la souris de laboratoire Tc1 dans laquelle les chercheurs ont introduit 90% du chromosome 21 humain (article d'origine de 2005, description formelle de la bestiole).

Merci de votre attention.

mardi 23 juin 2015

Ailleurs sur le web : Séralini et l'agneau-méduse expliqués #OGM

rudolf


Deux bons billets qui m'évitent d'avoir à écrire les mêmes :

Nouvelle étude Séralini : quand les rats de Monsanto sont gavés au RoundUp, sur le blog Theiere Cosmique, un bon compte-rendu de la récente étude de Séralini et al.

Un mouton OGM mangé par erreur, sur le blog Sciences2 de Sylvestre Huet, un compte-rendu factuel et non hystérique de la récente histoire d'agneau OGM avec gène de méduse.

Ajout : OGM : fluorescent comme l’agneau qui vient de naitre , ou beaucoup de bêlements pour rien

lundi 22 juin 2015

Réponse à un édito local sur les #OGM

J'ai écrit sur mon blog à L'Hebdo une réponse rapide à un éditorial local (ultra-local : j'habite dans la petite ville où Monsanto a son siège Europe-Afrique-Asie) sur les OGM. Lequel éditorial contient davantage d'erreurs que de mots je pense.

Ce très court billet ici pour (1) attirer votre attention sur le billet là-bas, et (2) permettre à ceux qui trouvent le système de commentaires pénible à L'Hebdo de commenter ici.

Apparemment les préjugés tiennent lieu de "savoir" sur les #OGM à @LausanneCites

vendredi 19 juin 2015

Les #OGM cachés : quand des anti-OGM se rendent compte de l'inanité de leurs arguments (ou pas) (et commentaire #Seralini)

[caption id="attachment_2802" align="aligncenter" width="175"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Il y a un thème fréquent en ce moment sur l'internet anti-OGM : les braves et courageux anti-OGM auraient découvert un nouveau danger menaçant nos fermes, nos campagnes et nos assiettes : les "OGM cachés". Qu'est-ce ? Ce sont des plantes modifiées par mutagenèse.

C'est intéressant, parce que la modification par mutagenèse existe au moins depuis les années 1930 (Wikipedia anglophone, Wikipedia francophone), et est un exemple souvent donné de l'incohérence du mouvement anti-OGM. Qui s'opposent depuis les années 1990 à une technique permettant de modifier de manière ciblée et maitrisée la génétique des plantes, tout en acceptant une autre technique qui modifie de manière aléatoire et massive cette génétique. J'en avais d'ailleurs parlé dans le podcast sur les OGM.

Et maintenant que lit-on ? Par exemple dans un article dans Libération :
Ces «OGM cachés» sont cependant arbitrairement exclus du champ d’application de la réglementation sur les OGM, sous le seul prétexte qu’ils ont été obtenus par une autre technique de manipulation génétique que la transgenèse.

On est d'accord que c'est arbitraire, sous seul prétexte de la technique de manipulation génétique. Mais ce ne sont pas les mutants obtenus par mutagenèse qui ont été exclus arbitrairement, ce sont les OGM qui ont été ciblés arbitrairement. Alors qu'on acceptait la mutagenèse depuis longtemps, et qu'aucun risque n'avait été perçu, on a monté une paranoïa autour des OGM. Et maintenant, cette paranoïa risque de glisser vers les techniques précédemment établies. Toujours sans raisons ni évidence.

Je trouve d'ailleurs rassurant que Pierre-Henry Gouyon n'approuve pas le terme, qui apporte davantage de confusion qu'autre chose, et lui préfère le terme "plantes pesticides". Excellente idée ! Utilisons ce terme, et admettons que le riz doré ou les pommes de terre sans acrylamide (un cancérigène) n'en sont pas. Par contre la plupart des articles que je trouve dans divers médias reprennent cela sans aucun sens critique.

Ce que je trouve ahurissant dans cette histoire d'OGM cachés (faites une recherche Google, c'est discuté de partout) c'est la façon dont une mouvance anti-scientifique retourne son ignorance en argument supplémentaire. "Il y a encore plus de choses qu'on ne pensait qu'on ne comprend pas ! Faut tout interdire !". J'aimerais que la terre s'arrête pour descendre...

Note : ce billet a été programmé à l'avance, à cause de la migration de serveur informatique du cafe-sciences.org cette semaine. Et maintenant je suis rattrapé par l'actualité avec une nouvelle "étude" de Séralini et al. Que je n'ai pas le temps de lire et analyser maintenant. Je note juste quelques points rapides :

  • le soit-disant hérault de la science ouverte continue à faire des conférences de presse avec embargo ;

  • à ce propos, la conférence de presse était en même temps qu'une réunion de journalistes scientifiques qui n'étaient donc pas à la conférence de presse ; hasard ou nécessité ?

  • quand son papier n'est pas publié comme prévu on voit des cris à la censure, alors qu'il suffirait de mettre ses résultats dans biorxiv, voire de les bloguer comme avait été fait pour la mise en cause de la bactérie à l'arsenic ;

  • si j'ai bien compris, il montre qu'il y a des traces de pesticides et d'OGM dans les aliments pour animaux de laboratoire ; c'est un reproche qui avait été fait à son étude précédente (son contrôle n'en était pas un), et maintenant il en fait un argument ? Super bizarre ;

  • sur Twitter, en anglais on voit une dominante de remarques critiques sur Séralini ; et une déferlante de reprises sans aucun recul ni critique de la communication du CRIIGEN par les médias français ; bon point, de grands médias ne semblent pas reprendre la pseudo-info pour le moment ;

  • très bonne analyse en anglais par la twitteuse de science @mummyPhD2 à Genetic Literacy.

mardi 16 juin 2015

Informatique, biologie et 6 millions de danois : les patients médicaux ont une histoire

[caption id="attachment_2791" align="aligncenter" width="145"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Ceux qui me suivent sur Twitter ont souffert la semaine dernière, vu que j'étais à une conférence de bioinformatique, que j'ai live-tweetée abondamment. J'ai appris pas mal de choses intéressantes, et je voudrais revenir si j'ai le temps sur plusieurs des résultats intéressants. Et d'abord la conférence de Søren Brunak, bioinformaticien médical danois :

Creating disease trajectories from big biomedical data

basé notamment sur son article :

Temporal disease trajectories condensed from population-wide registry data covering 6.2 million patients. Jensen et al 2014 Nature Comm 5: 4022

Commençons par quelques points mis en avant sur Twitter par moi ou d'autres :









Le concept clé pour Søren est celui de "trajectoire" : un patient médical a un passé et un avenir, qui devraient être pris en compte dans son diagnostic et son traitement. Il veut donc utiliser les données qu'il a à disposition au Danmark pour déterminer statistiquement les trajectoires probables, et la manière dont elles influencent les traitements qui marchent ou pas, les chances de survie ou de complication, etc.

L'équipe de Søren a utilisée les données complètes des hôpitaux danois de 1996 à 2010, soit 6,2 millions de patients avec 65 millions de visites. On sait dans quel ordre un patient a eu quels diagnostics ou traitements, et avec quelles conséquences. Ils ont découvert 1171 "trajectoires" significatives. Une trajectoire est une suite de diagnostiques ou d'actes médicaux qui se suivent dans un certain ordre davantage qu'attendu au hasard.

Par exemple : ncomms5022-f2


En (a) on voit des séries de maladies qui se suivent fréquemment, liées au cancer de la prostate. En (b), ces séries sont regroupées de manière à montrer toutes les trajectoires de manière synthétique.

Un point important est que ceci est déterminé automatiquement, en utilisant d'abord une corrélation assez simple entre diagnostics. La probabilité d'observer une corrélation au hasard est estimée en ré-échantillonnant les données (en mélangeant les observations au hasard en d'autres termes) des millions de fois, et en corrigeant pour le fait d'avoir effectué des tests multiples. Comme ça prend du temps de calcul, ils ont fait ça sur une partie des données, puis utilisé ces résultats pour valider une approche plus rapide. Ils ont assemblé les paires de diagnostics en séries en prenant simplement les chevauchements (si on a A->B et B->C, alors on a A->B->C), avec à nouveau un test pour vérifier la significativité statistique ; pour limiter le bruit statistique, les trajectoires avec moins de 20 patients au total ont été éliminées de l'analyse. Les trajectoires sont regroupées, comme montré en (b) ci-dessus, par Clustering Markovien. C'est là que j'apprends en vérifiant mes sources que cette approche très utilisée en bioinformatique n'a pas été vraiment publiée hors d'une thèse de maths. La page de référence étant celle du logiciel fourni par ledit mathématicien : MCL. A la base, la méthode cherche dans un graphe (des points liés par des traits, voir figure ci-dessus) des "chemins" plus probables si on marche au hasard dans le graphe, lesquels chemins correspondent à des sous-ensembles du graphe qui sont mieux connectés. Donc à des sous-ensembles, par exemple de diagnostiques, qu'il faut regrouper. CQFD. Y a d'autres trucs amusants dans leurs études, comme le développement d'une méthode informatique permettant de comprendre automatiquement les textes écrits par des médecins en danois, y compris les négations (très importantes dans les diagnostiques).

Allez, deux plus gros graphes :

ncomms5022-f3


Là on peut voir par exemple en (a) que la plupart des maladies suivant une athrosclérose, et pouvant être considérées éventuellement comme des complications, ne viennent comme complications plutôt d'une Bronchopneumopathie chronique obstructive (COPD en anglais), qui suit souvent mais pas toujours l'arthrosclérose.

ncomms5022-f4Bon avouez que c'est joli.


Sinon, pour montrer encore un peu ce que l'on peut trouver dans ces données et l'importance de la médecine personalisée, voici les incidences de quelques classes de diagnostiques en fonction du sexe et du type de viste : patient hospitalisé (in-patient), patient en visite libre (out-patient), urgence (emergency) :


ncomms5022-f1Tiens, les femmes ont plus souvent des diagnostics d'accouchement (en vert) que les hommes, et sont généralement hospitalisées à ce moment-là. ;-) Et les blessures (en rouge) sont plutôt le fait d'hommes de 21 ans, et se retrouvent aux urgences. Comme quoi ça marche ces stats.


Comme vous l'aurez peut-être remarqué dans les tweets ci-dessus, cette étude a été permise par une législation très libérale en ce qui concerne la collecte et l'utilisation des données personnelles au Danmark. Il n'est pas évident que de telles études soient portables à d'autres sociétés, moins enclines à faire confiance à leur état et leurs institutions. Il n'est en fait pas évident pour moi que ce soit souhaitable, contrairement à ce que souhaite clairement Søren Brunak. Mais si de telles études ne sont pas répétées, il y a le risque d'avoir une information très biaisée par les risques génétiques des danois, et surtout par leur mode de vie, qui se caractérise apparemment par une nourriture grasse et peu d'exercice. Søren a donc admis bien volontiers que, même si les résultats ont été partiellement vérifiés en Grande Bretagne et aux Pays Bas, il seraient difficiles à généraliser à un pays méditerranéen ou d'Asie de l'Est, par exemple.


Il n'en reste pas moins que les grandes lignes de cette étude sont probablement très généralement correctes, et qu'une information partielle de ce type vaut mieux qu'aucune information à mon avis. Une complainte fréquente des patients des hopitaux et médecins traditionnels est que leur histoire n'est pas prise en compte, d'où une tendance à aller chez des charlatans qui font n'importe quoi, mais écoutent attentivement toute l'histoire et rassurent sur l'avenir. On voit ici que l'exploitation intelligente de grandes quantités de données médicales a le potentiel de permettre une prise en compte rationnelle et réellement utile des histoires des patients.


Note de service : les commentaires ne vont pas fonctionner ce mercredi-jeudi 17-18 juin, en raison de maintenance du serveur cafe-sciences.org.


Update: following demand on Twitter, an English translation is available here.

lundi 8 juin 2015

Les datations fossiles disponibles librement sur le web

[caption id="attachment_2768" align="aligncenter" width="152"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Je marche sur les plates bandes de Dinoblog aujourd'hui : une équipe internationale a publié (accès fermé, c'est vil) une base de données gratuitement et publiquement disponible sur internet, qui contient des datations de référence entièrement basées sur des fossiles reconnus et expertisés :

http://fossilcalibrations.org/

Par exemple si je cherche Hominidae, le groupe des grands singes (ourang-outang, nous, chimpanzées, gorilles), je trouve date minimum 11,6 million d'années, date maximum 33,9 millions d'années. Ah bin c'est pas toujours super précis, mais comme ça on sait où on en est.

Ce qui est super c'est qu'on voit aussi à quels fossiles et à quelles publications scientifiques la date se rattache.

On peut comparer les résultats à ceux de TimeTree, un autre site qui lui propose des dates basées sur "l'horloge moléculaire", l'hypothèse que la divergence entre protéines ou séquences d'ADN permet de dater les divergences évolutives. J'aime moins, mais c'est plus complet parce que les fossiles faut avoir du bol et l'ADN y en a toujours. Pour Hominidae on obtient une date moyenne de 15,7 millions d'années, ce qui est cohérent avec les fossiles, avec différentes études qui s'étalent entre 8 et 22 millions d'années, pas si différent des fossiles finalement :

pongohomo

vendredi 5 juin 2015

#Scidiverse : peut-on avoir le beurre de fermer les frontières et l'argent du beurre de la bonne science ?

[caption id="attachment_2760" align="aligncenter" width="243"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Suite aux discussions sur la sortie de la Grande Bretagne de l'Union Européenne, le bioinformaticien célèbre et co-directeur de l'EBI (European institut for bioinformatics, Cambridge) a publié les tweets suivants :


Ce qui a généré pas mal de réactions spontannées d'autres personnes publiant les stats de leurs labos. Voici les miennes :

Du coup Ewan a lancé le hashtag #scidiverse. Et pour collectionner les données automatiquement, il a proposé aux gens de suivre un format standard. Ce qui est une approche très bioinformatique : si on veut pouvoir utiliser plein de données, il faut qu'elles soient organisées de manière standard, ce qui permet de les traiter informatiquement.

Ce qui pour moi donne :

Il y a des râlages que ça n'inclut pas d'autres sources de diversité, telles que orientation sexuelle, origine sociale, couleur de peau, mais je trouve déjà l'exercice intéressant. Même s'il est doublement biaisé : vers le type de chef de labo qui est actif sur Twitter, et plus votre labo est divers plus vous aurez envie de le montrer.

De manière importante, je pense que le point de départ d'Ewan est très valide : tous les mouvements conduisant à réduire la circulation internationale des personnes (quiter l'UE, pour la Suisse restreindre les relations avec l'UE, pour les USA les limitations sur les visas notamment après le 11 septembre 2001, etc) sont très pénalisantes pour la recherche. Mon labo n'est pas divers parce que j'essaye exprès qu'il le soit, il l'est parce que je prends les meilleures personnes et qu'elles viennent d'un peu partout. Si je ne devais prendre que des suisses, ou même une majorité de suisses, il me manquerait des compétences. Pas parce que les suisses sont moins bons, mais parce qu'il y a peu de suisses, et peu de gens qui ont les compétences dont on a besoin et la motivation pour les mettre en oeuvre en recherche scientifique.

Un peu d'info complémentaire : le classement des universités les plus internationales du monde sur le site de Times Higher Education. On peut s'amuser à corréler avec des classements de "qualité" des universités, mais comme ces classements sont très partiels et subjectifs, je vais éviter pour le moment.

La science comme elle devrait fonctionner, grâce aux réseaux sociaux

[caption id="attachment_2751" align="aligncenter" width="113"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Suite de deux billets précédents :

Ciel ! On critique un article scientifique sur Twitter !

-> La conversation a continué de manière très riche sur Twitter (malheureusement pas de hashtag associé) et sur le site du journal F1000research (oui c'est open access et de qualité !). Les auteurs du papier d'origine ont généré de nouvelles données, qui ont été mise à disposition sur le site d'ENCODE, et un autre scientifique a "publié" sur Twitter avoir découvert que les échantillons mélangeaient de manière non documentée mâles et femelles, ce qui impacte l'expression des gènes et donc les résultats biologiques :

Sans blogs, les erreurs dans les articles scientifiques restent masquées très longtemps

-> La discussion dans les commentaires du billet de blog de Lior Pachter doit être lue, elle montre la discussion scientifique comme elle devrait se produire. Je recommande notamment les commentaires de Mike Eisen (fondateur de PLOS, éditeur open access pionnier et pas poubelle) et de Pavel Pevzner.

Fraude scientifique et publication ouverte #openaccess

[caption id="attachment_2753" align="aligncenter" width="149"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Hier est paru un très bon article dans Le Temps, par Olivier Dessibourg (parenthèse : si Le Monde peut fournir tant d'articles au Temps, peut-être peuvent-ils leur emprunter à l'occasion leur excellente rubrique scientifique ? [mise à jour, voir ci-dessous]) :

Comment inventer des résultats scientifiques et en faire parler les médias

L'article rapporte en faisant un parallèle intéressant deux scandales récents qui secouent le milieu scientifique : le sociologue Michael Lacour a inventé les données ayant servi à publier une étude très visible et influente sur la façon dont on peut influencer le degré d'homophobie des gens (voir suite du dossier ici). Et le journaliste John Bohannon a effectué une étude bidon ayant pour objectif d'obtenir un résultat aléatoire lié au chocolat, l'a publié dans un journal poubelle, et a obtenu une large couverture journalistique de son pseudo-résultat.

J'ai eu un échange sur Twitter avec Olivier, parce que je ne suis pas d'accord avec la section suivant de l'article :
Ensuite parce qu’une vague déferle sur le monde de la publication, celle de l’open access: avant, c’est le lecteur d’une revue comme Science qui devait payer très cher pour y avoir accès, les savants y publiant gratuitement. Avec l’open access, c’est l’inverse: le chercheur paie pour publier, et la lecture est libre. Ce système a ses avantages (rendre la science accessible) et ses inconvénients: les revues open access de seconde zone acceptent parfois très peu scrupuleusement des études (donc avec un peer review léger, voire inexistant), contre paiement, pour générer du profit. C’est dans cette brèche que s’est infiltré John Bohannon – et il n’est de loin pas le seul.

Je trouve le mélange open access - pseudo-science erroné et détrimental.

Les journaux poubelle et la possibilité de publier des résultats faux, il y a toujours eu. Elsevier, le géant "respectable" de l'édition traditionnelle a fait des faux journaux au service de l'industrie pharma, et a encore un journal Homeopathy, dont on se demande ce qu'il peut publier de légitime.

Par ailleurs, les journaux Open access normaux ont les mêmes standards de publication que les bons journaux traditionnels, mais l'information scientifique est disponible librement et gratuitement pour tous, et est réutilisable.

J'allais écrire une réponse longue, mais je me rends compte que j'ai déjà tout dit dans un billet précédent : L'open access ne nuit pas à la qualité scientifique. Dont acte.

Je vais quand même rajouter qu'il me semble que les journalistes scientifiques devraient être le fer de lance du combat pour l'open access, puisque leur mission est d'accéder à la science et de la rendre accessible. Alors c'est très dommage de colporter une image erronée et très négative de ce mouvement.

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Mise-à-jour par rapport à la remarque entre parenthèses ci-dessus. Olivier me tweete :

 

mardi 2 juin 2015

Les hominidés, combien d'espèces ? Les humains, combien de races ? L'arc en ciel, combien de couleurs ?

[caption id="attachment_2710" align="aligncenter" width="172"]cliquez pour voir une BD philosophique en anglais cliquez pour voir une BD philosophique en anglais[/caption]

Je suis tombé via Twitter sur un intéressant billet de blog d'un anthropologue (Andy White) qui commente la découverte d'une nouvelle espèce d'hominidé, Australopithecus deyiremeda, en Ethiopie (article dans Nature). Il fait remarquer que l'article en question utilise 17 fois le terme "espèce", mais sans jamais le définir. Or la notion d'espèces est ambigue, et dépend du contexte : type d'études, types d'êtres vivants, etc. (voir billet / podcast "Race, espèce, humanité"). Et dans les étudies de fossiles humains (et aussi de dinosaures d'ailleurs) il y a un prestige particulier à découvrir de nouvelles espèces, encore plus si on arrive à les placer comme ancêtres d'Homo sapiens (homme de Cro Magnon, Angela Merkel, etc).

Pour montrer la difficulté de l'exercice, Andy White a dessiné la figure ci-dessous, qui m'a tellement plue que je fais ce billet de blog pour vous la montrer :

[caption id="attachment_2708" align="aligncenter" width="317"]Figure tirée du billet de blog Andy White Anthropology Figure tirée du billet de blog Andy White Anthropology[/caption]

Si on suppose une seule espèce, avec forcément de la variabilité (pensez à la diversité des humains actuels), si on a juste quelques fossiles on a des chances d'observer des différences apparemment bien séparées et les distinguant, alors que ce ne sont que de petits bouts de la variabilité continue.

C'est très semblable aux arguments que l'on retrouve souvent sur les supposées races humaines (voir ce billet). La variation continue des humains peut apparaître comme formant des groupes bien séparés lorsque l'on étudie que quelques populations distinctes. Or typiquement les données de génomique ne concernent (pour le moment) que quelques échantillons de quelques populations, genre quelques français, quelques chinois, quelques yoruba. Avec ça, on voit des différences qui séparent bien ces groupes. Mais c'est juste parce qu'on a raté la variation continue qui les relie.

En ce qui concerne l'arc en ciel, je laisse la question aux philosophes.

lundi 1 juin 2015

Si votre directeur de labo vous regarde les seins, prenez ça dans la bonne humeur

[caption id="attachment_2734" align="aligncenter" width="128"]cliquez sur l'image pour savoir comment gagner des suiveurs sur internet cliquez sur l'image pour savoir comment gagner des suiveurs sur internet[/caption]

Le magazine Science est l'un des deux journaux de science ultra-prestigieux (l'autre étant Nature) qui combinent publication d'articles scientifiques "primaires" (rapportant de nouveaux résultats) et section "magazine". Science a notamment une rubrique "carrières".

Et dans cette rubrique, le 1er juin, une postdoctorante anonyme a écrit pour demander conseil car son chef de labo lui regarde dans la chemise à chaque rencontre :
I’ve just joined a new lab for my second postdoc. It’s a good lab. I’m happy with my project. I think it could really lead to some good results. My adviser is a good scientist, and he seems like a nice guy. Here’s the problem: Whenever we meet in his office, I catch him trying to look down my shirt. Not that this matters, but he’s married.

Or la réponse de Alice Huang de Science a été de prendre cela avec bonne humeur, sachant que la postdoc a besoin de son chef, et que de toute façons s'il ne la touche pas et ne fait pas de propositions indécentes explicites, ce n'est pas grave. Une réponse jugée incroyable à juste titre par de très nombreux scientifiques sur Twitter. Conséquence : l'article a disparu du site de Science quelques heures plus tard. Mais l'internet étant ce qu'il est, il est archivé ici.

Dans la suite, des scientifiques ont lancé sur Twitter le hashtag #CrapScienceCareersAdvice, mélange de parodie et d'anectodes (voir aussi ce billet).

Qu'en retenir ? Que le sexisme est encore bien présent, et plus grave que beaucoup considèrent encore que de supporter le sexisme devrait être une attitude normale. Je soupçonne que dans pas mal de labos la situation est maintenue par une culture de respect pour le chef. Que ce soit concernant les résultats scientifiques ou l'attitude personnelle, le respect ne devrait jamais l'emporter sur la nécessité de critiques justifiées.

Espérons que cette histoire permette de démarrer une discussion dans certains labos.

Mise à jour : Science a publié une note de l'éditeur regrettant la publication de la réponse sexiste. Evidemment, aucune mention dans cette note des réactions sur les réseaux sociaux (voir aussi billet sur les cellules souches).

#OGM pour l'agriculture bio, par réintroduction de gènes sauvages ?

[caption id="attachment_2727" align="aligncenter" width="260"]cliquez sur l'image, ça parle de campagne cliquez sur l'image, ça parle de campagne[/caption]

Via un article du New York Times, je vois un appel dans Trends in Plant Science (malheureusement d'accès fermé) de la part de scientifiques danois :

Andressen et al 2015 Feasibility of new breeding techniques for organic farming Trends Plant Sci in press

Dedans ils proposent le "rewilding", la réintroduction de gènes de variétés sauvages dans les variétés cultivées.

En effet, un des problèmes des variétés domestiques, que ce soit des animaux ou des plantes, c'est que la sélection sévère à laquelle les humains les ont soumis a conduit à une faible diversité génétique et des défaults génétiques. Ceci a deux composantes :

  1. Lorsqu'il y a sélection sur certains traits, ça diminue la taille de population effective pour les autres traits : si je ne prends que les personnes de 30 ans bonnes en maths et en français avec un goût pour la musique jazz et qui font bien la cuisine, j'aurais un choix plus restreint en ce qui concerne leurs compétences en foot que si je sélectionnais des compétences foot dans toute la population. Si je sélectionne les plantes qui produisent de très grosses graines dans des conditions agricoles (voir ici pour la distance de nos cultures aux plantes sauvages), alors je diminue la taille efficace de population pour les traits du type résiste bien aux aléas climatiques ou aux maladies.

  2. Lorsque la population est petite, la sélection naturelle est moins efficace. Si la population efficace pour un trait est petite, la sélection naturelle est moins efficace pour ce trait. Quand la sélection naturelle est moins efficace, les variants désavantageux sont moins éliminés, les avantageux moins favorisés. Conséquence, la population se retrouve avec de nombreux gènes où seul la version désavantageuse est gardée, ce qui n'est pas terrible admettons-le.


Bilan de ces deux phénomènes, les variétés domestiquées se trimballent un lourd fardeau de variants génétiques désavantageux. C'est frappant chez certains chiens de race, mais c'est vrai aussi pour les plantes cultivées.

D'où l'idée des danois : prendre les versions avantageuses qui dominent encore les variétés sauvages, et le ré-introduire dans les variétés cultivées. Ils voient cela comme un moyen d'augmenter la productivité tout en gardant les intrans (pesticides, engrais) faibles, donc de rendre le "bio" plus efficace tout en conservant ses bénéfices. Ils font à ce propos d'une certaine naïveté me semble-t-il :
The most efficient methods of rewilding are based on modern biotechnology techniques, which have yet to be embraced by the organic farming movement

"have yet to be embraced"... Le mouvement bio n'a pas encore décidé d'utiliser la biotechnologie. Mais bientôt donc...

Leur raisonnement se tient très bien sinon (pour être honnête, l'article inclut une importante discussion de la part sociologique de la question, mais pas très conclusive). Les plantes cultivées utilisées en bio ont été optimisées pour la culture non bio, avec intrants. Si on les croise par technique traditionnelle avec les sauvages, on va aussi réintroduire plein de gènes diminuant la productivité ou autres conséquences négatives, ça va prendre très longtemps, et ça va être très compliqué si on parle de traits multigéniques. Avec la biotechnologie, on peut trouver les gènes que l'on veut et les mettre précisément.

Le rewilding biotechnologique est-il compatible avec l'agriculture biologique ? Les auteurs considèrent plusieurs critères :

  • Santé : le rewilding par biotechnologie permettrait d'améliorer des traits de robustesse, donc moins de pesticides, et de nutrition, sans rien perdre ; donc oui, compatible bio.

  • Ecologie : cette approche peut et diminuer les intrants, et favoriser la biodiversité ; donc oui, compatible bio.

  • Justesse (fairness) : pas d'incompatibilité a priori, mais à considérer au cas par cas.

  • Principe de diligence (care) : le bio a une approche conservatrice mais pas totalement fermée au progrès apparemment, donc ça doit être bon. Les auteurs notent de manière intéressante que rejeter des technologies comme celle-ci n'est pas forcément la stratégie la moins risquée.


Finalement, les auteurs notent une différence dans la définition de "OGM" aux Etats-Unis et dans l'Union Européenne. En Europe, la définition est basée sur le processus de production. Donc si ces plantes sont produites par génie génétique, elles seront considérées comme OGM, et donc comme interdites en agriculture biologique sous les règles actuelles. Aux USA, la définition est basée sur le produit, donc si ces plantes auraient pu être produites par croisements non biotechnologiques, elles ne seraient pas OGM, et pourraient être autorisées en bio.

Pour compliquer encore les choses, ils proposent d'utiliser de nouvelles techniques de mutagenèse de précision qui ne sont pas encore bien couvertes par la législation OGM ; il n'est donc pas clair où la limite serait par rapport aux règles européennes.

On revient donc au point que "OGM ne veut rien dire", et qu'il faut juger au cas par cas. En tous la proposition me paraît très intéressante. Eventuellement la société va bien devoir avoir un débat rationnel sur les possibilités ouvertes par les progrés de la biologie me semble-t-il, et ceci en fait partie.