mercredi 26 mars 2014

L'open access ne nuit pas à la qualité scientifique

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Un billet sur le blog Alambic de la bibliothèque de Clermont-Ferrand, sur Hypotheses.org, pose la question "L’open access nuit-il à la qualité scientifique ?" (explication de ce qu'est l'open access dans ce billet). Le texte contient beaucoup de bonnes choses, mais je trouve qu'il complique un peu trop la question.

Donc en résumé, ma réponse est : non.

Quelques points davantage en détail :

  • Je suis éditeur chez PLOS One, le journal le plus souvent cité en exemple pour l'open access haut débit sans critères d'impact scientifique. On a zéro pression pour accepter plus de papiers, il n'y a aucun lien avec le fait que les auteurs payent : s'ils demandent à ne pas payer par manque de moyens, c'est toujours accordé, et l'éditeur n'est pas au courant.

  • J'en ai marre d'entendre parler des journaux "prédateurs" comme disqualifiant l'open access. Ca me rappelle les débuts du web, quand beaucoup de gens en France ne voulaient pas avoir de présence web (j'ai vécu cela en 1995-96) parce que le web, y avait de la pornographie et des sites de piratage. Oui sur le web y a ces trucs, et les éditeurs escrocs existent. Mais en quoi cela justifie-t-il de ne pas agir par ailleurs ? De ne pas avoir de page web, de ne pas éditer un bon journal open access ? C'est un non sequitur, utilisé à dessein par les tenants du status quo.

  • A propos des journaux prédateurs, merci de ne pas citer avec approbation le truc récent dans Science. Ce n'était pas une "étude", vu que c'était fait par un journaliste, sur commande, et que ça n'a pas été soumis ni expertisé. Le plan expérimental était faussé exprès, en ne soumettant aucun faux article à des revues sur abonnement, et en ciblant en priorité les éditeurs classés comme "prédateurs". Et il n'y a aucune correction pour des facteurs confondants comme l'age des journaux, leur reconnaissance, leur nombre d'articles, etc. Donc des journaux de merde publient de la merde, what's new ? A noter que des papiers générés par ordinateur ont été acceptés par des éditeurs réputés sérieux, sur abonnement (news dans Nature), et que Elsevier a publié de faux journaux sur abonnement (New Scientist).

  • Finalement, tout ce bruit sur les nouvelles revues et nouveaux éditeurs me paraît détourner de l'essentiel : il faudrait que les revues existantes, avec leur expertise et leur prestige, deviennent toutes open access. Alors on pourra arréter de discuter de ces bétises et permettre l'accès au savoir à tous. Sans utopie, c'est déjà économiquement viable.


lundi 24 mars 2014

8 questions sur l'évolution, reloaded

[caption id="attachment_1889" align="aligncenter" width="150"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Sur le blog généralement excellent Passeur de sciences il y a une interview du paléontologue Jean-Sébastien Steyer sur le thème "8 questions pour en finir avec les clichés sur la théorie de l’évolution". Je n'ai pas trop aimé cette interview, à laquelle Tom Roud a aussi pas mal réagi sur Twitter. Plutôt que de râler sur ce que je n'ai pas aimé, ce qui risquait de ne pas être très constructif, j'ai décidé de donner mes propres réponses aux même questions (questions de Pierre Barthélémy en gras).

1/ Soit par une simplification excessive soit dans le discours des partisans créationnistes de l'« Intelligent Design », l'évolution est souvent représentée comme une ligne droite qui va de la bactérie jusqu'à l'homme. Que répondre à ceci et quelle autre représentation graphique serait plus correcte ?

D'abord, une ligne allant de nos ancêtres à nous n'est pas en soi fausse. Ce qui est faux, c'est de représenter des espèces actuelles le long du chemin. Nous ne descendons pas d'un chimpanzé, mais d'un primate qui est également l'ancêtre des chimpanzés. Nous ne descendons pas d'un poisson actuel, mais d'un ancêtre commun avec les poissons actuels. Nous ne descendons pas d'une bactérie actuelle, mais d'un ancêtre commun avec les bactéries. Ce qui complique la communication c'est que la plupart des gens, s'il pouvaient voir ces ancêtres, diraient "tiens un singe, tiens un poisson, tiens une bactérie". Leurs caractères primitifs ne sont clairs que pour les spécialistes, d'autant plus quand ce sont des organismes très différents de nous, comme les bactéries.

Ensuite, l'évolution suit un arbre, avec des branchements. En soi, ce ne devrait pas être très difficile à montrer et mettre en avant, mais c'est fait très rarement parce qu'il y a reproduction d'un cliché bien ancré. De plus, on a souvent tendance à représenter les espèces très distantes de nous en bas de l'arbre (regardez les résultats Google Images pour "arbre évolution"). Donc la réponse est que la représentation correcte est un arbre, avec toutes les espèces au même niveau. Excellent exemple dans ce billet de SAFFT.

2/ L'évolution va-t-elle nécessairement vers plus de complexité comme on l'entend souvent ?

Ah bon, on entend souvent ça ? Bref, la réponse est en deux parties :

  1. L'évolution n'a pas de direction particulière. Parfois plus de complexité est mieux adapté, parfois moins de complexité est mieux adapté. Parfois la complexité émerge sans adaptation, par hasard (par exemple nos gènes dupliquent par hasard et on en a plus), parfois la simplicité émerge sans adaptation, par hasard (par exemple on perd des gènes par hasard).

  2. Comme noté par Stephen Jay Gould, si vous partez d'organismes très simples, ce qui était probablement le cas au début de la vie, et que vous évoluez au hasard plein d'organismes, la médiane va rester très simple (et en effet, la plupart des organismes sont des bactéries), mais la complexité maximum va augmenter avec le temps parce qu'on bougeant au hasard on va parfois s'éloigner de ce minimum de complexité où l'on a commencé. Il avait proposé une analogie avec un mouvement brownien (au hasard donc) de particules qui démarrent toutes près d'un mur (qui représente la complexité minimale de la vie). Bien que le mouvement soit au hasard, la limite extrême de distribution des particules s'éloigne progressivement du mur, parce qu'il n'y a pas d'autre possibilité de mouvement. Donc oui, il y a probablement d'une certaine manière complexification des organismes les plus complexes au fur et à mesure du l'évolution, sans "nécessité" intrinsèque, et alors que la stagnation est la règle et la simplification est fréquente.


3/ Un autre raccourci très courant dans la vulgarisation est qu'une forme apparaît pour réaliser une fonction. Comment reformuler les choses sans ce « pour » ?


C'est une façon naturelle de penser, et ce qui est révolutionaire dans la théorie de la sélection naturelle de Darwin est justement cette capactié contre-intuitive à générer de la fonction en l'absence d'intention. Parce que c'est contre-intuitif, il est très difficile de donner une formulation simple, claire et exacte. D'ailleurs dans mes cours de biologie, quand j'étais étudiant, les profs disaient souvent "tout se passe comme si telle molécule voulait faire telle fonction", pour faciliter leur exposé... ce qui a donné son nom légèrement cryptique à ce blog.

Proposition de formulation : "une forme qui réalise bien une fonction utile est préservée". On peut ajouter "une variante d'une forme qui réalise mieux une fonction utile que la forme habituelle est mieux préservée."

4/ L'image du chaînon manquant est elle aussi très ancrée dans l'imagerie populaire. Se justifie-t-elle sur le plan scientifique ?

Ca dépend comment on veut l'interpréter.

Si on veut dire qu'il nous manque des informations dans le registre fossile, c'est vrai et ça le sera toujours. Les fossiles sont incomplets.

Si on veut dire que ces manques sont critiques, et du coup on ne peut pas dire ce qui s'est passé dans l'évolution, c'est faux (dans les cas qui intéressent le grand public en tous cas). Dans les grandes transitions, du type apparition des vertébrés terrestres, on a suffisamment de fossiles de bonne qualité pour savoir ce qui s'est passé avec un bon niveau de détail.

Si on veut dire qu'il y a des séries de fossiles qui permettent de visualiser une transition, c'est souvent correct (ça dépend des cas), à condition de se rappeler que l'évolution fonctionne en suivant un arbre et non une ligne droite, voir ci-dessus. Excellent exemple avec Tiktaalik sur le blog Pharyngula (en anglais) ; compte rendu en français avec moins d'images sur le Dinoblog. Mais si on veut dire ça, pourquoi dire chaînon "manquant" ?

5/ Autre image d'Epinal, celle du fossile vivant, employée par exemple pour le cœlacanthe. Faut-il aussi lui tordre le cou ?

Là pour le coup, oui, totalement, il faut lui tordre le cou. Toutes les espèces présentes autour de nous ont la même durée évolutive les séparant de nos ancêtres que nous. Certaines espèces évoluent effectivement plus lentement que d'autres, mais : (1) aucune n'évolue pas du tout, donc elles seront toujours différentes des espèces fossiles disparues, et (2) l'évolution lente affecte généralement certains aspects, parfois frappants, mais pas d'autres.

6/ Dans les grandes étapes du vivant, il y a la « sortie des eaux » par les vertébrés. Comment la science la conçoit-elle aujourd'hui ?

Vu que j'ai donné l'exemple de Tiktaalik ci-dessus, j'y renvoie. En bref, il semble que cela se soit fait en plusieurs étapes sur une relativement longue durée.

Jusqu'ici je n'ai pas fait référence aux réponses de J-S Steyer, mais c'est quoi ce bazar de réponse où il essaye de dire que ce n'est pas important, à peine si on s'en fout pas ? Ce n'est pas unique bien sur, mais de tels cas où une lignée évolutive à envahi une nouvelle niche énorme, avec des innovations morphologiques et fonctionnelles clairement reliées à ce changement, existent et intéressent la biologie évolutive. On peut citer la diversification des plantes à fleurs, les autres passages au mileu terrestre, notamment chez les plantes et plusieurs groupes d'arthropodes (dont les insectes), ou à plus petite échelle les poissons des glaces. Et moins connus du grand public, l'apparition des eucaryotes ou de la photosynthèse.

7/ Parmi les grands chouchous du public, en matière de paléontologie, on trouve les incontournables dinosaures. L'image que la science en donne aujourd'hui est très différente de celle que nous en avions il y a quelques décennies...

Vu que je ne suis pas paléontologue, je ne vais pas trop rebondir sur cette question.

8/ Quelle était la place réelle des mammifères dans le monde animal avant la disparition des dinosaures non aviens ?

C'est encore débattu, voir mes billets Pas si petits, les mammifères du temps des dinosaures ? et Un petit débat scientifique pour #DarwinDay : fossiles contre ADN chez les mammifères, et les commentaires dessous. Mais cela semble quand même clair que de ce temps-là, les mammifères étaient moins divers qu'aujourd'hui.

Je ne comprends pas ce que J-S Steyer essaye de dire dans sa réponse. Ca fait longtemps que l'on sait que les mammifères existaient avant la disparition des dinosaures, et il dit à la fois que oui leur disparition a libéré des niches, mais que ce n'est pas si important. En quoi la disparition totale de la mégafaune et son remplacement par une nouvelle lignée de mégafaune n'est-il pas intéressant ? (Un truc que je trouverais intéressant à noter par contre, c'est que les descendants directs d'un groupe de dinosaures, les oiseaux, a continué à très bien se porter, et comporte aujourd'hui encore davantage d'espèces que les mammifères. Dino not dead. Cliquer sur dessin en haut de page.)

Voilà, je vous laisse lire les deux interviews, la vraie de M. Steyer, et ma vraie-fausse ci-dessus.

vendredi 21 mars 2014

Surprise ! Les insectes développent une résistance à un insecticide #OGM après qu'on en ait abusé

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Le maïs OGM Bt produit un insecticide issu d'une bactérie (voir ce billet par exemple). Ca marche très bien, les paysans économisent des insecticides couteux et dangereux pour leur santé et pour l'environnement. Donc ils utilisent beaucoup, en tous cas aux Etats-Unis où ils en ont le droit. Beaucoup beaucoup beaucoup. Et qu'est-ce qui se passe quand un insecticide unique est utilisé énormément sur un immense territoire ? Une pression de sélection très forte sur les insectes cibles pour développer une résistance à cet insecticide spécifique. Les scientifiques (vous savez, les affreux individus vendus aux multinationales) ont bien averti du problème, et proposé des solutions : varier les insecticides (mais vu le bazar que c'est de mettre un nouvel OGM sur le marché, et que personne n'aime épandre des insecticides, c'est pas gagné), varier les cultures, et planter des îlots de maïs non Bt au milieu des cultures Bt, afin de donner une bonne chance aux insectes non résistants de se maintenir. Mais voilà, les compagnies qui produisent le maïs Bt veulent gagner des sous, les paysans veulent gagner des sous, et les solutions ci-dessus ne font pas gagner plus de sous à court terme. Et la résistance se développe, comme rapporté dans un article récent de Gassmann et al. dans PNAS, bien expliqué dans un article de vulgarisation en anglais dans Wired. Notons quelques points intéressants :

  • Bin oui, l'évolution existe, si on met une pression très forte sur une espèce avec un pesticide, elle va développer une résistance si elle a une taille de population suffisante pour accuser le coup (en général les espèces qui nous gènent sont abondantes). Soit dit en passant, avec une pression plus faible la résistance va aussi se développer, ça risque juste de prendre plus longtemps. Mais s'il y a une niche disponible "manger les plantes que cultivent les humains", elle sera prise.

  • Les pauvres paysans forcés de planter des OGM contre leur plein gré, quand ils ont le choix non seulement ils les achètent et les plantent, mais ils les plantent davantage que n'est conseillé. Ca ne colle pas trop au scénario des paysans victimes là.

  • Quand une compagnie vous dit que son produit va marcher pour toujours, ne la croyez pas.

  • Les scientifiques avaient prévu le coup et averti. Quand on comprend ce qui se passe au lieu de hurler, on peut comprendre que les OGM ne sont pas des poisons, qu'ils ne détruisent pas forcément la biodiversité, qu'ils sont divers (voir ce billet), et aussi que ce ne sont pas des solutions magiques, et que la biologie impose de prendre en compte l'évolution et la génétique des populations.

  • Finalement, tout ceci n'a qu'un rapport assez indirect avec les OGM. Si un insecticide quelconque était utilisé de manière aussi large et systématique, une résistance se développerait, que ce soit par pulvérisation ou par OGM. Et c'est arrivé, exemples sur Wikipedia en anglais. Mais ça fait des titres de presse tellement plus vendeurs si on peut dire que c'est un échec des OGM plutôt que de l'abus d'insecticide unique.


Alors c'est vrai que l'OGM maïs Bt encourage à utiliser uniquement ou largement l'insecticide Bt. Mais en principe, rien dans la technologie n'interdit de préparer des graines ayant différents insecticides, et de vendre ensuite des sacs de graines mélangées, permettant de semer des plantes toutes résistantes, de manières diverses. Mieux, des chercheurs ont développé un OGM qui produit une phéromone d'attraction de papillon pour les attirer ailleurs que vers les cultures à protéger (magazine en anglais, article libre accès), et une autre équipe développe un blé qui produit une molécule signalant le danger aux pucerons (communiqué de presse). Résultat attendu dans le deuxième cas : faire peur aux pucerons et attirer leurs prédateurs. Une super solution, parce que le développement d'une résistance parait bien moins probable, vu qu'on ne tue pas les insectes, on les redirige juste. Mais il vaut bien mieux interdire tout ça, c'est des OGM après tout, et continuer à utiliser des insecticides (rappel : le Bt est autorisé en culture bio, ça vient "naturellement" d'une bactérie), auxquels des résistances évolueront, OGM ou non.

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Note : je reçois des tonnes de spam dans les commentaires, et je n’ai pas le temps de tout vérifier. Alors si vous commentez et que ça n’apparait pas dans les 12h, contactez-moi par Twitter @marc_rr.

jeudi 20 mars 2014

Etre jugé par ses pairs en sciences : un privilège d'homme ?

[caption id="attachment_1865" align="aligncenter" width="150"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Ca fait plusieurs fois que je participe à des comités ou jurys d'un type ou d'un autre, dans lesquels un certain nombre d'hommes (dont moi) jugent une jeune femme : jurys de thèse, comités de pilotage, commissions de recrutement, etc. Et je me faisais la réflexion que le contraire ne m'est jamais arrivé, et que même la possiblité que cela m'arrive a toujours été négligeable. Ma directrice de thèse était une femme, et la seule de mon jury de thèse. Dans la commission qui m'a embauché à l'Université de Lausanne, il y avait une femme. Pour le reste, que des hommes. Je n'ai jamais été le seul homme d'un comité.

Ce qui me rappelle The male privilege checklist : tous ces privilèges dont les groupes dominants n'ont pas conscience parce qu'ils ne sont pas des privilèges explicites, mais plutôt des absences de discrimination, ou simplement que la société est construite pour eux (en l'occurence je devrais dire pour nous, vu que je fais partie des privilégiés).

Alors voilà, un privilège dont je bénéficie en tant qu'homme en sciences : je suis très généralement jugé par d'autres hommes, et très rarement (ça ne m'est jamais arrivé) par des comités constitués uniquement de membres de l'autre sexe.

Je ne dit pas qu'il s'agit d'un privilège énorme, ni que d'être jugé par un comité constitué uniquement de membres de l'autres sexe est forcément un problème. Mais c'est juste un des nombreux petits désagréments potentiels sur la voie d'une femme voulant faire des sciences, dont un homme n'a jamais ni à être victime, ni – immense privilège en soi – à même être conscient.

Que faire ? A court terme, je suppose, en être conscient, et essayer d'y faire attention, prendre en compte ces circonstances dans le jugement et dans le fond et la forme de la discussion. A long terme, bin plus de femmes à des postes importants en sciences...

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Note : je reçois des tonnes de spam dans les commentaires, et je n'ai pas le temps de tout vérifier. Alors si vous commentez et que ça n'apparait pas dans les 12h, contactez-moi par Twitter @marc_rr.

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Mise à jour : sur un thème connexe, un bon article sur la "ville faite pour les garçons" sur le nouveau site du vulgarisation du CNRS.

mardi 18 mars 2014

Blogs sur la biodiversité issus de mon cours sur les blogs #BlogSci

[caption id="attachment_1859" align="aligncenter" width="150"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Je donne en ce moment un cours "Blogging and using Twitter for scientific communication". J'ai demandé aux étudiants d'écrire un billet de blog la semaine dernière. J'ai listé les billets écrits, qui pour la plupart correspondent à de nouveaux blogs, sur mon blog anglophone, et je vous invite à leur rendre visite :

Student blogs from my graduate course “Blogging and using Twitter for scientific communication” @unil

Je voudrais juste attirer votre attention ici sur deux des blogs qui ont démarré en français, avec une intention nette de vulgarisation sur la biodiversité :

Chouettes titres, les deux blogs, et j'espère qu'ils tiendront la distance sur les objectifs affichés de vulgarisation et d'explication de la biodiversité au public.

lundi 17 mars 2014

La saga des cellules souches continue à nous éclairer sur le fonctionnement de la science (à défaut de celui des cellules)

[caption id="attachment_1850" align="aligncenter" width="150"]Cliquez sur l'image Cliquez sur l'image[/caption]

Bon alors l'histoire des cellules souches magiques, ça ne s'améliore pas (1ère partie, 2ème partie). Un des auteurs, Teru Wakayama, appelle l'article à être retiré, la 1ère auteure (Haruko Obokata, qui a fait les manips) demande à ce que sa thèse soit rétractée, que du bon. Et l'institut où les manips ont été en grande partie faites, le RIKEN au Japon, dit en conférence de presse qu'ils "ne peuvent pas conclure que les résultats sont totalement faux". La confiance règne. Suivez tout en anglais sur l'excellent blog http://www.ipscell.com de @pknoepfler.

Dans ce nauvrage en temps réel, ce qui est intéressant à observer c'est la dynamique sociale du fonctionnement de la communauté scientifique. Quand on apprend la science, au niveau le plus simple, on apprend que les scientifiques sont très critiques, font très attention, remettent en cause leurs hypothèses dès que ça cloche, etc. Puis dans un deuxième temps, si on s'y intéresse, on apprend que non les scientifiques y en a des arrogants et des égoïstes, certains sont aveuglés par leurs préjugés et d'autres attachent leur carrière à une hypothèse et ne veulent plus en démordre, y a des vieux qui ne veulent pas des nouvelles méthodes et des jeunes qui répètent les erreurs passées par ignorance... Et si on arrête là, on a une bien piètre image de la science.

Le truc, c'est que tout ça c'est vrai, mais que ce qui importe c'est la manière dont fonctionne la communauté scientifique. La recherche scientifique, malgré les Géo Trouvetout populaires de la BD aux films et aux livres, est une oeuvre et une aventure collectives. Ce qui importe, ce n'est pas si un individu admet ou pas s'être trompé (bien que ça soit mieux s'il le fait), c'est si la communauté reconnaît l'erreur et agit en conséquence. A savoir, corrige les hypothèses et met en place de nouveaux tests.

Dans le cas des cellules souches, on a de tout :

  • Comme dit ci-dissus, Obokata n'a pas (pas encore ? à ma connaissance) déclaré l'étude non valide, mais elle déclare sa thèse sur le sujet non valide, une démarche très rare et relativement radicale.

  • Comme aussi dit, un des co-auteurs appelle les papiers à être rétractés, donc à admettre qu'ils ne rapportent pas l'évidence qu'ils disent rapporter.

  • Par contre l'auteur sénior, le chef de l'étude, Vacanti, maintient mordicus que c'est valide.

  • Le RIKEN, où travaille Obokata, a démarré une enquête interne, communique en permanence, et fait preuve d'une grande transparence (apparente au moins) dans sa recherche de la vérité. On peut craindre qu'ils ne visent à transformer Obokata en bouc émissaire (chèvre émissaire pour une femme ?) de cette histoire, mais au moins ils font quelque chose.

  • Harvard, où une partie du travail a été fait, se tait. Donc à notre connaissance ne fait pas d'enquête comme le RIKEN.

  • Certains chercheurs sur les cellules souches, comme détaillé précédemment, cherchent à établir collectivement la reproductibilité des expériences, et communiquent ouvertement sur les problèmes découverts.

  • Pendant ce temps, d'autres chercheurs bien établis dans le monde des cellules souches trouvent tout ce déballage de bien mauvais gout, et préféreraient que le linge sale soit lavé en famille. Ce qui pourrait bien entendu être l'occasion d'affirmer au monde qu'il n'est pas si sale que ça, et surtout éviter que l'on constate du linge sale dans d'autres labos je suppose.


Nous voyons donc en direct live la nature auto-correctrice de la science, et les résistances locales que cette auto-correction suscite toujours. Les pessimistes se focaliseront sur le verre à moitié vide : le silence d'Harvard, l'entêtement de Vacanti, les réticences de certains pontes à discuter de cette histoire. Les optimistes se focaliseront sur le verre à moitié plein : le démontage du papier et les nombreuses tentatives de reproduction des expériences en quelques semaines à peine, les discussions publiques jusque dans les pages de Nature et de certains journaux grand public (surtout au Japon), la réaction ouverte du RIKEN, la prudence aussi des critiques. Moi je vois le verre plus qu'à moitié plein : c'est important de ne pas se focaliser sur les faiblesses d'une personne ou une autre, mais de voir le fonctionnement communautaire. (Et aussi d'être très critique quand dans certains cas une communauté scientifique disfonctionne, mais c'est nettement plus rare.)