vendredi 6 janvier 2017

Ne mélangez pas "il n'y a pas un gène pour ça" et "ce n'est pas génétique"

[caption id="attachment_3366" align="alignnone" width="500"] Carte des résultats les plus significatifs pour divers traits sur le génome humain. Cliquez pour l'original interactif.[/caption]

Entre les années 1970 et 2000, il y a eu une mode de recherche de gènes "pour" des tas de caractères compliqués, du style l'obésité, l'intelligence, la réussite, l'homosexualité, la tendance à chercher des gènes, etc. Et en contre partie, les critiques de ces études mettaient en exergue le fait que ces traits ne soient pas déterminés par les gènes. Exceptionnellement, les deux extrêmes avaient tort, et la vérité est plus complexe.



Pour comprendre la discussion, prenons un exemple moins controversé : la taille. Qui plus est, c'est facile à mesurer sans ambiguïté, contrairement à l'intelligence ou l'orientation sexuelle.

  • La taille a une composante héréditaire : si les parents sont plus petits, les enfants sont plus petits.

  • Cette composante héréditaire n'est pas due juste à un environnement partagé, mais bien à une part génétique : mêmes adoptés, même dans un environnement très différent, des enfants auront une taille plus grande si leurs parents sont plus grands.

  • Mais il y a aussi une part environnementale : si des enfants grandissent avec plus ou moins à manger, une nourriture plus ou moins diversifiée, plus ou mois accès aux soins ou pas, etc, ils seront plus ou moins grands ; ce qui est illustré par l'augmentation de taille de la population de chaque pays lorsqu'il se modernise : ce n'est pas la composante génétique qui change.

  • Mais mais, il n'y a pas un gène de la taille ! La taille est le résultat de nombreux effets, interactions entre de nombreux gènes et de nombreux facteurs environnementaux.


Avec cet exemple, on voit que ce n'est pas un simple choix "il y a un gène qui détermine", ou "ce n'est pas génétique". De nombreux gènes influencent la taille, et c'est le cas pour la plupart des caractéristiques complexes qui sont intéressantes. Chacun de ces gènes a une contribution individuelle très mineure : il n'y a même pas 5 ou 10 "gènes de la taille".

En fait, tellement de gènes sont impliqués, avec de si faibles contributions, que lorsque l'on a commencé à faire des études grande échelle de recherche des gènes impliqués dans la taille, on n'a presque rien trouvé. Alors avec d'un coté une composante héréditaire claire, d'autre part pas de gènes détectés, on a parlé d'hérédité manquante. Il y a eu beaucoup de spéculations sur le rôle des interactions entre gènes ou autres phénomènes pouvant expliquer la différence entre rôle des gènes détectés (peu) et hérédité (élevée). En fait, c'est juste que les effets sont tellement faibles qu'il faut beaucoup de données pour les mesurer avec confiance, donc des études avec les génomes de beaucoup de personnes : 253'288 individus pour trouver 697 variants génétiques qui expliquent 1/5ème de la variation de taille dans Wood et al 2014 ; "seulement" 44'126 individus, mais avec de meilleures données génomiques (séquences complètes et non variants prédéfinis) et une meilleure méthode pour expliquer 56% de la variation de taille avec ... 17 millions de variants génétiques dans Yang et al 2015.  Il y a bien un effet génétique fort (56%), mais qui n'est absolument pas attribuable à un ou quelques gènes (dix-sept millions de variations !).

Et c'est là qu'on peut revenir aux débats sur "le gène de l'intelligence". Il est clair que des traits tels que l'intelligence, à supposer que l'on puisse les définir objectivement, sont le résultat de l'interaction de nombreux effets, et que certains seront génétiques et d'autres environnementaux. Il est donc illusoire de chercher "le gène". Mais il est également illusoire de penser qu'il n'y a pas de part génétique.

Cette dernière phrase peut être surprenante pour beaucoup de gens, en tous cas dans mon expérience. Il y a l'idée que de reconnaître une part génétique de traits importants socialement serait inégalitaire ou déterministe. Et une résistance de certains en sciences humaines à l'idée que la biologie serait pertinente à comprendre le comportement humain.

Pour le déterminisme, reprenons l'exemple de la taille : face à l'héritabilité importante de la taille, serait-il justifié qu'il ne sert à rien de bien nourrir les enfants pour les aider à grandir ? Non, tout le monde grandira mieux s'il est bien nourri. Par exemple les français semblent avoir gagné 5 cm en moyenne entre 1960 et 1990 (Wikipedia) (à noter aussi pour tous les nostalgiques qui pensent qu'on était tellement plus sains avant). De même, ce n'est pas parce qu'il y a des facteurs génétiques pour des traits comportementaux complexes qu'il y a une fatalité. Et de toutes façons, s'il y a une composante génétique il y en a une, que ça fasse plaisir ou non.

Alors y a-t-il des éléments de preuve pour une composante génétique pour l'intelligence ? L'intelligence en soi c'est très difficile à définir objectivement, mais il commence à y avoir des éléments concernant des traits de ce type. C'est un domaine en évolution rapide, donc résultats à prendre avec des pincettes, surtout si vous tombez sur ce billet quelques temps après sa publication en janvier 2017.

Okbay et al 2016 ont étudié 293'723 personnes (avec réplication des résultats dans un autre groupe de 111'349 personnes). Ils ont trouvé  74 variations dans le génome qui sont associées au nombre d'années d'études. De manière intéressante, ces variations sont surtout dans des gènes actifs dans le développement embryonnaire du cerveau. Ce qui tend à conforter l'idée que ce soient des résultats pertinents et non dus au hasard.

Approche différente : des régions du génome peuvent être manquantes ou au contraire en double chez certaines personnes. On les appelle Copy Number Variants. Männik et al 2015 ont caractérisé chez 7877 estoniens en bonne santé ces Copy Number Variants et ont trouvé que les personnes ayant de gros morceaux d'ADN en trop ou pas assez avaient moins bien réussi leurs études que les autres personnes.

Enfin, Ganna et al 2016 ont cherché les variations génétiques très rares (observées une seule fois jusqu'ici), dans 14'133 personnes. Ils trouvent que les personnes ayant des mutations affectant la fonction d'un gène ont une réussite éducative plus faible, et ceci spécifiquement pour les gènes actifs dans le cerveau.

Au final, les humains sont des animaux, et il n'y a pas de raison de penser que notre comportement et nos capacités ne soient pas en partie génétiques. En acceptant cela, il faut garder à l'esprit que :

  1. nous sommes chacun le résultat d'une interaction génome x environnement ;

  2. ce n'est pas pour autant qu'il existe un "gène pour X" ;

  3. détecter ces composantes génétiques est très difficile, et nous n'en sommes qu'au début, donc prendre chaque résultat individuel avec des pincettes (y compris les exemples donnés ici) ;

  4. et donc ne pas croire tout titre provocateur "l'intelligence vient de la mère" ou je ne sais quoi ;

  5. la variation génétique ne correspond pas aux "races" traditionnelles (qui ne correspondent d'ailleurs à rien).

mardi 3 janvier 2017

Billet invité : revue du livre "Conflits intérieurs"

Hébergement exceptionnel d'un billet par un collègue, Christophe Dessimoz, qui n'a pas de blog francophone : sa revue d'un roman scientifique qui lui a particulièrement plu.



"Conflits Intérieurs"
écrit par Eric Bapteste
publié aux Editions Matériologiques, 2015, €15 (papier) €9 (ebook)

Pour mieux s'en sortir, vaut-il mieux de rivaliser ou coopérer? Cette question fondamentale se pose dès lors qu'il y a des interactions entre agents—qu'il s'agisse d'individus, d'entreprises, ou de peuples. Et il en va de même à travers tout le vivant. Dans son roman "Conflits Intérieurs", le biologiste Éric Bapteste donne une place centrale à la réalisation récente de l'extraordinaire complexité des interactions à tous les niveaux biologiques.

Par exemple, chacun d'entre nous porte entre une et dix bactéries pour chacune de nos cellule humaine. Que ce soit sur la peau, dans la bouche, ou dans l'intestin, ces bactéries sont souvent commensales—c'est à dire qu'elles bénéficient de l'environnement offert par le corps humain sans y nuire—ou même symbiotique en ce sens qu'elles contribuent des fonctions biologiques bénéfiques pour l'homme ou nous protège de variétés pathogéniques. Mais ces interactions ne sont pas inébranlables. Quand l'occasion se présente—par exemple si une masse critique est atteinte ou le système immunitaire est affaibli—des bactéries inoffensives peuvent soudain se révéler fatales...

Comment aborder ces thèmes somme tout assez techniques dans un livre grand public? En mariant science et intrigues! L'auteur nous raconte la rivalité entre les Professeurs Beaubien et Hatch, caricatures l'un du professeur "vieille école" savant mais détaché, et l'autre du scientifique-manager sans scrupules. Les sujets scientifique abordés dans le livre sont véridiques mais l'histoire et les protagonistes, l'auteur nous l'assure, purement fictifs.

Fictifs certes mais pas invraisemblable: quête de renommée, conspirations, relations tumultueuses entre chef de labo et subordonnés, romance.... le monde de la science contemporaine est en effet loin des clichés du chercheur solitaire à la poursuite de La Vérité. Au contraire, c'est un monde éminemment social, où sont manipulés données et collègues.

Le cocktail de science et intrigues entre chercheurs fonctionne. Les théories sont distillées de façon abordable et sans prétention au cours d'une histoire palpitante. Le résultat captive.

Le thriller de vulgarisation scientifique, un nouveau genre?

(Ajout de MRR : quelques autres billets sur des romans au cafe-sciences.)