lundi 3 juillet 2017

Pourquoi les journalistes combattent-ils le libre accès aux articles scientifiques ?

Il y a eu récemment un excellent article dans The Guardian sur la mise en place du système de publication scientifique que nous avons à présent, dans lequel un petit nombre de maisons d'éditions exploitent le travail non rémunéré des chercheurs pour vendre les articles scientifiques aux bibliothèques dans un marché de monopole, en interdisant l'usage libre dédits articles. Déjà, lisez l'article si vous lisez l'anglais, c'est très intéressant pour ceux que ces choses intéressent.

Une solution poussée par une partie de la communauté scientifique depuis des années est l'open access, ou libre accès. Dans ce modèle, les articles scientifiques sont en accès gratuit immédiat, et sous licence "creative commons" permettant l'usage dans des livres, articles, encyclopédies, cours, etc. Les frais de publication sont soit couverts par une fondation, soit payés par les auteurs lors de la publication. Ce qui peut paraître surprenant, mais les chercheurs ne sont de toutes façons pas payés pour publier, et dans beaucoup de cas on paye (sur les finances des laboratoires) pour publier sans que soit en libre accès. Voir discussions précédentes par exemple ici et liens inclus :

http://toutsepassecommesi.cafe-sciences.org/2016/12/01/moi-qui-vous-cause-je-parle-d-open-access/

Tout ça pour dire qu'en lisant l'article du Guardian, je me demandais pourquoi il y a si peu de soutien pour l'open access dans les journaux français. Non seulement on ne voit jamais d'articles comme celui-là, mais on a régulièrement des chroniques comme celle-ci :

http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2017/05/24/une-revue-scientifique-prise-au-piege-dun-canular-sur-le-penis/

Dans lesquelles l'open access est assimilé à de la sous-science, à un problème à régler, et non à une tentative récente de réparer un système cassé. Je me permet de renvoyer à mon billet L’open access ne nuit pas à la qualité scientifique.

Nous avons donc d'un coté de grandes maisons d'éditions privées, qui font des marges de bénéfices parmi les plus élevées du monde (dans les 30-40%, plus qu'Apple ou Total), qui prennent le travail des chercheurs fonctionnaires, le verrouillent derrière des "droit d'auteurs" abusifs qui ne protègent que les sociétés d'édition et pas les auteurs, revendent cette connaissance scientifique accumulée à des prix prohibitifs en constante augmentation aux universités et aux bibliothèques, et bloquent toute tentative de partage de la connaissance avec le reste de la société.

Et de l'autre coté des journaux qui rendent toute la connaissance immédiatement disponible et réutilisable à tous, et qui sont en concurrence directe sur les frais de publication (si je choisis où publier, il y a marché libre ; si je dois lire un certain article, il y a monopole).

Les journalistes scientifiques soutiennent donc évidemment les deuxièmes, non ?

Si non, ils sont prudemment neutres ?

Non et non, ils avalent chaque canular et attaque injuste des éditeurs traditionnels, répandent chaque rumeur injuste sur l'open access, et ne donnent presque aucun écho au scandale des frais d'abonnement négociés en secret :

La France préfère payer (deux fois) pour les articles de ses chercheurs

(mon commentaire ici)

Que faudra-t-il pour que les journalistes francophones soutiennent l'effort historique pour rendre toute la recherche scientifique libre et accessible à tous ?

5 commentaires:

  1. Je ne sais pas si « les journalistes combattent [...] le libre accès aux articles scientifiques », mais je pense qu'il y a – au-delà des pesanteurs et des difficultés à faire virer les paquebots de la science, de l'édition scientifique et des bibliothèques – un problème de jugement de valeur, de préjugés. En bref, « reader pays » = bon ; « author pays » = mauvais.

    Cela est lié, au moins en partie, au fait qu'il y a eu une multiplication de titres en « pay for play » dont certains sont prêts à accepter n'importe quoi.

    Pour rire :

    http://seppi.over-blog.com/2016/10/un-article-de-seralini-et-al-plagie.html

    Le même type de préjugé prévaut pour les comités de lecture.

    En fait, le libre accès aux articles scientifiques est devenu un impératif de salubrité publique.

    Quand seuls les scientifiques lisaient les articles (quand ils lisaient...), le type de publication n'avait guère d'importance. Aujourd'hui, la science – et surtout les pseudo-sciences – parvient au public en partie sous forme d'articles complets, en partie sous forme de résumés, et en partie sous forme de communiqués de presse et de commentaires journalistiques. Certes, le grand public ne lira pas les articles, ni ne pourra juger de leur qualité et, surtout, de l'adéquation entre la réalité scientifique et les fictions médiatiques. Mais certains pourront faire l'exercice de démontage des mythes.

    À propos de la dernière manipulation médiatique, sur les néonicotinoïdes et les abeilles, la revue Science a fait très fort :

    http://seppi.over-blog.com/2017/07/neonicotinoides-et-abeilles-encore-de-la-science-com-a-but-politique.html

    Pitoyable ! Le pire, peut-être, est que cela se retourne contre Woodcook et ses collaborateurs qui n'agitent pas le fanion du militantisme.

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  2. Je pense qu'une des raisons est que ces journalistes associent sentimentalement cette tension entre les revues des éditeurs classiques et les open access, avec celle qui peut exister entre la presse papier classique et la gratuite (et peut-être la presse Web par extension).

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  3. Remarque très intéressante, merci ! C'est en effet tout-à-fait possible.

    Bien sûr les auteurs ne sont pas plus payés en open access qu'en abonnement en science, mais ce n'est pas très intuitif (c'est le moins qu'on puisse dire).

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  4. sur le meme sujet ou presque
    https://youtu.be/WnxqoP-c0ZE

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