vendredi 27 avril 2012

Des médecins américains découvrent que la pauvreté affecte la santé plus que la race

[caption id="attachment_120" align="aligncenter" width="179" caption="cliquez sur l'image"][/caption]

Un billet court, qui fait suite à mon précédent billet sur race et génétique. Une analyse récente par des chercheurs de la prestigieuse université de Stanford examine quelles sont les variables qui expliquent la survie jusqu'à 70 ans dans la population américaine.


Les auteurs ont utilisé 22 variables (voir gros tableau) pour expliquer les différences de mortalité entre noirs et blancs. Le point de départ est l'observation qu'en moyenne, on a d'une part des différences noirs-blancs, et d'autre part des différences géographiques, mais que de plus on a des différences géographiques sur la différence noirs-blancs. Dans le Sud-Est (le "vieux sud" traditionnel) la différence est la plus importante. La variation de départ va quand même de 45% de chances d'atteindre 70 ans pour un homme noir dans les régions les pires, à 85% pour une femme blanche dans les régions les mieux dotées.

[caption id="" align="aligncenter" width="600" caption="variables utilisées"][/caption]

En tentant d'expliquer la variation par plein de paramètres, les auteurs trouvent qu'elle est en fait expliquée par des paramètres sociaux-économiques. Dans la figure ci-dessous on voit que si les noirs avaient les mêmes valeurs des paramètres que les blancs (même revenu, même éducation, etc.), bin ils vivraient aussi vieux. On vit moins vieux si on est pauvre et mal éduqué (cliquez sur l'excellente BD ci-dessus), et dans le sud profond, les noirs sont plus pauvres et moins éduqués que leurs voisins blancs. D'où la différence.




[caption id="" align="alignnone" width="450" caption="différences noirs-blancs réelles (rouge), prédites avec les paramètres réels (bleu), prédites si les noirs avaient les paramètres sociaux-économiques des blancs (verts). (A) hommes, (B) femmes."][/caption]

Alors cette étude suffira-t-elle à ce que les médecins américains arrêtent de classer les gens selon leur signe du zodiac race, et prennent d'avantage en compte les facteurs économiques ? Osera-t-on dire que la pauvreté est le noeud du problème, avec l'ignorance ? Je ne suis pas trop optimiste, quand on voit que les études qui trouvent des différences quelconques entre noirs et blancs sont publiés dans les revues les plus prestigieuses, tandis que cette étude-ci est dans PLoS One, beaucoup moins visible et moins lu. Mais c'est un pas dans la bonne direction je l'espère.

vendredi 20 avril 2012

La varation cryptique permet une adaptation rapide par sélection naturelle

[caption id="attachment_91" align="aligncenter" width="223" caption="cliquez pour aller au bouletblog"][/caption]

Il y a quelques semaines, on a parlé de la variation pré-existante dans une population, qui lui permet notamment de s'adapter en cas de changement d'environnement ou autre défi sélectif. Dans un tutorial bloggué avec nos étudiants, nous avons discuté récemment et en anglais un article très intéressant sur ce sujet, que je vais donc essayer de présenter ici et en français.

La variabilité cryptique est un concept suffisamment obscur pour ne pas avoir de page Wikipedia, mais qui pourtant est potentiellement très important en biologie évolutive, et partant pour comprendre le vivant en général (vu que tout ce qui existe en biologie provient de l'évolution). On nomme ainsi la variation génétique qui existe dans certaines conditions, sans avoir aucun effet visible, mais dans d'autres conditions a des effets visibles. Par visible ici, j'entends qui a un effet sélectif, même si c'est cool pour nous si c'est effectivement visible par les chercheurs, genre nombre de poils sur les mouches. Dans la première condition il peut donc s'accumuler de la variabilité qui n'est ni bonne ni mauvaise (on dit neutre) pour l'organisme. Lorsque la deuxième condition apparaît (cela peut être un changement environnemental, une mutation dans un autre gène, etc.), cette variabilité arrête d'être neutre, et certains variants peuvent être avantageux.

ResearchBlogging.org

La question posée dans l'article de Hayden et al. (référence à la fin du billet) est de vérifier l'hypothèse selon laquelle davantage de variabilité cryptique permettrait une adaptation plus rapide lorsque les conditions changent. En d'autres termes, de la variabilité pré-existante neutre deviendrait adaptative. L'équipe de Andreas Wagner, qui fait plein de trucs cool de ce genre à Zürich, a utilisé un système expérimental élégant d'évolution expérimentale pour étudier cette question. Ils sont partis d'un ribozyme, ce qui est un système simple et efficace utilisé dans pas mal d'études d'évolution expérimentale. En effet il s'agit d'une molécule d'ARN qui à la fois contient l'information génétique et effectue la fonction, à savoir catalyser la coupure précise d'une molécule d'ARN. On va pas rentrer dans les détails biochimiques ici, ça nous détournerais trop de la question. L'important c'est qu'on peut muter un ribozyme et tout-de-suite voir sa fonction (qu'est-ce qu'il coupe ?) dans un tube à essai. De plus c'est une fonction qui se prête bien à l'analyse quantitative, à savoir qu'on peut mesurer avec quelle efficacité il coupe les ARN qu'on lui donne à manger.

Le plan d'expérience de cette étude est le suivant :

  1. On laisse de la variation s'accumuler. Pour cela, on utilise une variante de la PCR qui fait de nombreuses erreurs lors de la copie. A chaque génération, on teste pour vérifier que l'activité de départ de coupure de l'ARN est toujours présente. Donc la variabilité qui s'accumule est bien neutre, elle n'affecte pas la fonction qui est sous sélection. Ceci a été fait en double dans deux conditions de sélection légèrement différentes, A et B (quels poètes ces scientifiques).

  2. On change et de PCR et de critère de sélection. On utilise une PCR "normale", qui n'introduit que peu de nouvelles mutations. Et on sélectionne les variants sur leur capacité à couper un ARN modifié. Cette deuxième étape est effectuée sur les ribozymes issus de la première étape (conditions A et B), et sur des ribozymes d'origine, qui n'ont pas eu de cycles d'accumulation de mutation.


Il faut bien préciser que la variabilité qui s'est accumulée lors de la première partie de l'expérience était indépendante des conditions de la deuxième partie. En aucune manière elle ne la préparait. Il faut aussi préciser que pour la sélection l'on n'étudie jamais une molécule de ribozyme seule, mais un mélange. C'est donc ce mélange qui doit avoir l'activité souhaitée. Au total, ce plan expérimental permet donc de comparer l'adaptation à un nouvel environnement (2ème partie de l'expérience) entre des populations avec beaucoup de variation cryptique (celles qui ont subi la 1ère partie) et des populations avec peu de variation cryptique (le ribozyme d'origine).

Je ne peux malheureusement pas vous montrer les images ici, parce que Nature n'est pas en libre accès, mais les populations avec variation cryptique s'adaptent beaucoup mieux que celles à faible variation au nouveau substrat ARN. Au départ, les trois populations (conditions A et B, sans manipulation initiale) coupent environ 15% de l'ARN modifié. Au bout de 8 générations, le ribozyme original en coupe 30%, alors que A et B en coupent 45%. Par séquençage des ribozymes de chaque population à différentes générations, les auteurs montrent qu'il y a bien eu une sélection dans les populations A et B de variants qui existaient déjà (cryptiques) à la fin de la 1ère partie de l'expérience.

Un autre résultat est très intéressant : dans la population B, on a juste sélection d'un ribozyme qui coupe très bien l'ARN modifié. Mais dans la population A, on a également sélection d'un variant du ribozyme qui ne coupe pas l'ARN, mais qui permet une coupure très efficace de l'ARN modifié en présence d'un ribozyme actif. Donc l'expérience a fait émerger un nouveau dimère de ribozymes, plus efficace dans les nouvelles conditions qu'aucun ribozyme seul, alors que ça n'était pas l'objectif.

Ce dernier résultat montre que l'on peut très facilement obtenir par mutation + sélection des réponses biologiques complexes, et pas forcément intuitives. Comme un dimère entre une molécule active et une molécule inactive, qui ensemble ont une activité élevée.

Donc en conclusion, oui la variation cryptique permet une adaptation plus rapide à un changement de sélection naturelle.

Au fait, entre ça et les renards de Sibérie, le prochain qui dit qu'on ne peut pas faire d'expériences en biologie évolutive doit peigner le Tyranosaure.

Hayden, E., Ferrada, E., & Wagner, A. (2011). Cryptic genetic variation promotes rapid evolutionary adaptation in an RNA enzyme Nature, 474 (7349), 92-95 DOI: 10.1038/nature10083

(Je ne sais pas pourquoi le résumé du billet sur la page principale de mon blog montre une image différente, à part que j'avais utilisé cette image dans un brouillon précédent. Etrangeté de Wordpress.)

vendredi 6 avril 2012

Les articles scientifiques sont écrits de manière chiante, et c'est bien

[caption id="attachment_66" align="aligncenter" width="92" caption="Cliquez sur l'image"][/caption]

Un billet récent sur le blog "carrières" du magazine Science ironisait sur le style très pauvre de l'écriture scientifique. Adam Ruben commence par l'exemple d'utilisation du mot "lone" à la place de "only", qu'il avait déjà utilisé une demi-douzaine de fois.
So I changed the word to “only.” And it hurt. Not because “lone” was some beautiful turn of phrase but because of the lesson I had learned: Any word beyond the expected set -- even a word as tame and innocuous as “lone” -- apparently doesn’t belong in science.

Il avait appris une leçon : l'anglais scientifique est une langue simplifiée et formalisée, et on n'utilise pas la pleine richesse de la langue anglaise. Mais il n'a pas aimé cette leçon. Par la suite, il a donné des cours d'écriture. Les uns à des étudiants non précisés, qui devaient trouver un sujet intéressant en science et écrire dessus. Un peu comme les blogs du C@fé des sciences quoi. Les autres à des scientifiques. Il aimait apprendre aux étudiants à écrire de manière intéressante. Il n'aimait pas apprendre aux scientifiques à écrire de manière sèche. La suite du billet est une parodie des règles d'écriture scientifique.

Il me semble que Adam se trompe lorsqu'il se plaint de ce que les scientifiques "n'ont pas le droit d'écrire comme les autres". J'ai d'ailleurs eu un petit échange twitter à ce propos avec une des responsables d'édition au journal PLoS One (@multidiscipl1ne).

A la base, je pense qu'il faut se rappeler que l'anglais scientifique a pour objectif de permettre une communication claire entre personnes qui partagent un domaine de connaissances et d'intérêts, mais diffèrent énormément dans leur langue maternelle et leur culture. Donc le plus on utilise de l'anglais élaboré ou diversifié, le plus difficile c'est pour les personnes dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. A plus forte raison si leur langue maternelle est très éloignée de l'anglais (japonais ou chinois par exemple). De même, le plus on utilise de références culturelles habituelles en littérature et ailleurs, plus c'est difficile à comprendre pour des personnes de culture différente.

A ce propos, une anecdote fort croustillante : dans les années 1990, on a déterminé à partir de séquences d'ADN mitochondrial, uniquement transmises par la mère, de plein de personnes, l'origine commune de cet ADN mitochondrial pour tous les humains. Comme c'est forcément une femme qui a transmis cet ADN, on a appelé cette personne "Eve mitochondriale". Quelques années plus tard, avec des séquences de chromosome Y, uniquement transmis par le père, on a fait de même. Et on a l'a appelé bien sûr "Adam du chromosome Y". Bien sûr pour mes aimables lecteurs je suppose, mais à l'époque un collègue japonais nous a demandé dans une conférence qu'est-ce que c'est ces noms Adam et Eve ? Pour le lecteur de culture chrétienne et autres religions abrahamiques, ces noms transmettent beaucoup d'information de manière compacte : c'est des ancêtres lointains, primordiaux, d'un certain sexe. Pour les scientifiques japonais ou chinois, c'est de l'hébreu, c'est le cas de le dire.

Ces différences culturelles se voient aussi dans la façon d'écrire, et c'est aussi quelque chose qui doit s'apprendre quand on apprend à écrire l'anglais scientifique. Les francophones apprennent à l'école à rédiger avec quelques règles de base qui ne s'appliquent pas du tout dans ce contexte. Premièrement, éviter les répétitions, utiliser des synonymes à la place. Non. Cela dessert la clarté. Si vous voulez parler de la même chose, utilisez le même mot, ça sera plus clair. Ensuite, les mots de liaison ; cette phrase a commencé par le mot "ensuite". C'est souvent malvenu en français d'écrire des phrases simples sujet-verbe-complément sans mots de liaison. Or en anglais, et à plus forte raison en anglais scientifique, ces mots ne sont pas nécessaires, ils sont même souvent de trop, ils alourdissent le texte. Combinez ces deux habitudes, et vous avez une floraison de mots de liaison exotiques du type "therefore" et "consequently". Au secours ! Sans compter qu'en anglais on aime bien les phrases courtes. A nouveau, l'accent doit être sur la clarté. Un concept, une phrase. Court, simple, et pertinent.

Tout ceci ne veut pas dire qu'on ne puisse pas bien écrire des articles scientifiques. Mais les qualités recherchées ne sont pas les mêmes que dans d'autres contexte. C'est la clarté, la capacité à faire passer un message important sans sur-vendre ni sous-estimer l'impact, le déroulement logique et aisé à suivre du raisonnement. Je terminerais en citant Watson et Crick décrivant pour la première fois la structure en double hélice de l'ADN :

C'est pas du style d'écriture class ça ? Zyva, donnez-y ce Nobel.