mercredi 27 mai 2015

Réflexions personnelles sur les blogs, la science, le journalisme, le sens de la vie, tout ça

[caption id="attachment_2690" align="aligncenter" width="208"]cliquez sur l'image (très drole si vous lisez l'anglais) cliquez sur l'image (très drole si vous lisez l'anglais)[/caption]

Ces derniers mois mon activité de blog a été assez irrégulière, et marquée par des essais nouveaux et des périodes d'arrêt. Voici un rapide retour sur ces derniers mois, et mes réflexions sur l'activité de blog de science en français.

En octobre, j'ai tenté avec des collègues un exercice de dialogues entre scientifiques sur le thème très sensible des OGM. J'ai trouvé l'exercice très intéressant, mais il n'a eu finalement qu'assez peu d'écho malgré les nombreux commentaires (bilan ici, avec liens vers les dialogues). Notamment, aucun écho dans d'autres médias, sauf des tweets et commentaires de Pascal Lapointe de l'Agence Science Presse (Canada), toujours très présent et très interactif sur les médias sociaux.

En novembre, je me suis étonné que la "sélection de la semaine" du blog Passeur de sciences de Piere Barthélémy au Monde ne couvre aucun des sujets ayant agité la semaine très riche en évènements dans la communauté scientifique, notamment francophone. Je dois avouer ne pas avoir trouvé la réponse très constructive, et d'autres blogueurs scientifiques ont partagé ma réaction sur Twitter.

En janvier, j'ai tenté l'expérience d'un AMA (ask me anything) sur Reddit, sur les OGM. Expérience très amusante et intéressante.

En février, j'ai démarré un nouveau blog sur le site du magazine suisse L'Hebdo. Le magazine m'a ouvert ce blog en avril 2014. Par rapport à la discussion début 2014 sur les blogs de science, notamment sur la politique du Monde, L'Hebdo m'a donné d'excellentes conditions : pas de nombre ni de fréquence de billets minimum ou maximum, thèmes et ton libres. Pendant longtemps j'ai cru pouvoir démarrer un blog sans arrêter l'autre, puis comme j'ai vu que j'y arrivais pas, j'ai décidé d'essayer de passer à 100% sur L'Hebdo quelques temps. Bilan ? J'aimerais penser que j'ai un lectorat différent, mais je n'ai pas accès aux statistiques, et j'ai très peu de commentaires. Ce qui est moyen motivant finalement. Je pense garder ce blog-là actif, mais épisodiquement, pour par exemple répondre dès que j'aurais le temps au Nième épisode de mon dialogue infructueux avec Martial des Verts vaudois.

De plus, entre temps j'ai eu plusieurs discussions où j'ai appris que de plus en plus de gens considéraient le cafe-sciences comme un site de référence ; j'ai aussi vu que d'anciens billets à moi étaient cités dans des discussions en ligne des mois ou des années plus tard. Bref, j'ai l'impression que l'activité de blog telle que je l'ai développée ici est utile, et elle est certainement amusante.

Donc conclusion d'une première réflexion, sur l'articulation entre journalisme et blog de scientifique.Je ne vais pas faire davantage d'efforts pour aller vers les médias, et ne pas me prendre la tête sur le point de vue des journalistes. En tant que scientifique, je blogue, c'est disponible et trouvable pour qui cherche.

L'autre réflexion qui m'a retardé parfois dans mon activité de blog, c'est les OGM. J'ai beaucoup blogué là-dessus, et beaucoup sur plein d'autres sujets. Mais j'ai eu parfois le sentiment d'être catalogué comme "blogueur pro-OGM", et ça m'a bêtement géné. Je ne suis même pas généticien des plantes. D'un autre coté, l'actualité à l'interface sciences et société concerne souvent les OGM. Alors je me suis parfois retenu de bloguer pour ne pas bloguer trop sur les OGM. A la réflexion, c'est dommage. Il manque je trouve de voix scientifiques dans cette discussion. La discussion Reddit, ou les réactions au billet kidiscience sur les OGM m'ont fait réaliser que je suis content d'avoir écrit les billets que j'ai écrit. Et que doit m'importer l'image que cela peut donner de moi ? Donc s'il y a une actualité OGM, je la traiterais, ou s'il y a quelque chose que j'ai envie de dire. Et je ne ferais pas attention à la fréquence du sujet.

Un dernier point que la discussion sur les OGM a mis en avant pour moi est le rôle de l'anonymat ou de son absence. Je ne pourrais pas écrire comme je le fais si on ne savais pas qui j'étais, si on pouvais soupçonner à tout moment quelque intention ou agenda caché (voir les "révélations" bizarres sur Mediapart – pas de lien parce qu'à l'heure où j'écris soit ça n'est plus en ligne soit je n'y ai plus accès). Et c'est vrai au-delà des OGM. Je suis clair sur mes compétences et limites, mes intérêts, mes biais, et j'écris et je réponds en mon nom propre. Ceci n'est pas un conseil ou une critique pour les autres blogueurs, qui ont d'autres intentions ou d'autres contraintes, mais pour moi d'utiliser mon vrai nom est une liberté.

Conclusion de tout ça : je reviens. :-)

mardi 26 mai 2015

Sans blogs, les erreurs dans les articles scientifiques restent masquées très longtemps

[caption id="attachment_2675" align="aligncenter" width="277"]error cliquez sur l'image[/caption]

Une petite suite à mon billet récent sur les critiques Twitter d'un article prestigieux. Aujourd'hui Lior Pachter (dont on a déjà parlé sur ce blog : les méthodes comptent, rififi chez les bioinformaticiens, écrire un mauvais article) a publié un nouveau billet. Dedans, il part d'un article publié récemment en preprint (version publique non encore publiée officiellement, voir ici), pour critiquer un article de 2004, de Kellis et al dans Nature (depuis Manolis Kellis est devenu un des poids lourds de la génomique). Dans Kellis et al 2004, les auteurs donnent une proportion de 95% de gènes dupliqués où seul l'un des deux évolue rapidement, et disent que c'est frappant ("striking") et que ça soutient une hypothèse classique d'évolution des gènes dupliqués.

Lior met au défi ses lecteurs de déterminer la probabilité d'observer ce résultat : est-ce réellement frappant, ou au contraire attendu même si l'hypothèse est fausse ?

Et ce qui me frappe, moi, c'est un commentaire où Lior publie un email qu'il vient de recevoir. Un collègue anonyme lui envoie la lettre qu'il avait écrite au journal Nature à l'époque, en 2004. Laquelle lettre détaille le calcul de la probabilié associée, et montre que loin d'être frappant, le résultat invalide même légèrement l'hypothèse classique. Lettre que Nature a refusé de publier. Donc que personne n'a vu entre 2004 et 2015.

Pourquoi est-ce que ça me frappe ? Parce que ça montre une fois de plus qu'en l'absence de la communication scientifique informelle par les blogs et Twitter, le système a été vérouillé par quelques-uns, qui n'ont pas permis à la discussion scientifique d'avancer comme elle le devrait. Cette discussion ouverte, à laquelle participe également la publication open access / libre accès, est essentielle. Nous vivons une révolution pacifique et très positive, et il faut en être conscient et la soutenir.

Mise à jour : grosse discussion générée sur Twitter, avec intervention de l'excellent Alan Drummond entre autres (cliquez sur le Tweet pour voir les réponses). Et vive les médias sociaux en science.

 

vendredi 22 mai 2015

Ciel ! On critique un article scientifique sur Twitter !

[caption id="attachment_2666" align="aligncenter" width="332"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Après une longue pause, ce blog redémarre. Je reviendrais sur mes réflexions sur les blogs et la communication scientifique prochainement, mais commençons par un billet sur un petit évènement qui agite mon landerneau, celui de la génomique et la bioinformatique de l'évolution. Et qui éclaire l'évolution de la publication et du débat scientifique à l'heure des réseaux sociaux.

Mes plus fidèles lecteurs se rappeleront du projet ENCODE (billet ENCODE, billets sur critiques d’ENCODE 1 et 2, billet Big Science). L'original concernait l'humain, il y a eu ensuite un ENCODE souris, et un modENCODE mouche drosophile et vers nématode. Tous ces projets mènent à de nombreux articles scientifiques, certains décrivant les données, d'autres les utilisant pour diverses études. Fin 2014, une analyse publiée en coordination avec ENCODE souris (Lin et al 2014 ; voir aussi Figure 2 dans Yue et al 2014) montrait un résultat surprenant :

[caption id="" align="aligncenter" width="532"] comparaison d'expression de gènes humain-souris, par analyse multivariée présentée bizarrement[/caption]

Si vous trouvez la figure ci-dessus difficile à comprendre, vous êtes pardonné. En bref, les auteurs ont pris la mesure du niveau d'expression des gènes (leur niveau d'activité en première approximation) dans différents tissus (de testicules à estomac) de souris et d'humain. Pour chaque tissu humain ou souris, on a environ 20'000 mesures, pour autant de gènes. On peut réduire cela aux 2 ou 3 dimensions qui expliquent le mieux la variation, ce qu'ils ont fait. D'habitude on représente cela par des graphes 2D, qui sont lisibles au moins, mais ici ce sont des graphes 3D où la troisième dimension est très difficile à comprendre. Mais ceci est un péché véniel.

Ce qui est frappant pour le spécialiste dans ces figures, c'est que les tissus de regroupent par espèce (souris ensemble, humain ensemble) plutôt que par type de tissu (estomacs ensemble, reins ensemble). Ce qui revient à dire que les gènes exprimés dans un estomac de souris sont davantage similaires à ceux exprimés dans un rein de souris que dans un estomac humain. Ce qui est très surprenant : on s'attends plutôt à l'inverse, et d'ailleurs cela a été publié de manière répétée (même par mon labo). Et comme le fait remarquer l'inénarable Dan Graur (voir ici à son propos), si c'est vrai ça veut dire que l'étude des gènes de souris ne sert à rien pour étudier l'humain, et que donc ENCODE souris est un gaspillage d'argent. Ce que les auteurs d'ENCODE souris ne relèvent curieusement pas.

Ce résultat a paru bizarre a beaucoup de monde, et une analyse rapide dans mon labo semblait indiquer qu'il était du à ce que les expériences de souris et d'humain ont été faites différemment, et donc ce que l'on verrait serait le biais expérimental plutôt que le signal biologique. Mais montrer publiquement qu'un collègue a tort, c'est du boulot (cf ici), qu'on n'avait pas envie de poursuivre dans ce cas-ci.

Heureusement, un collègue de Chicago, Yoav Gilad, a décidé de le faire, et il a lancé un Tweet tonitruant :

Bon tonitruant sur l'échelle des débats feutrés en science hein. L'important c'est qu'il a montré que les résultats publiés ne tenaient pas, mais qu'en enlevant les biais expérimentaux on retrouvait bien un regroupement par tissus. Il a ensuite mis son article sous forme non encore expertisée sur le site de F1000, qui permet de rendre publique toutes les versions d'un papier, avant pendant après expertise, ainsi que les expertises elles-mêmes, afin que tous puissent discuter librement :

A reanalysis of mouse ENCODE comparative gene expression data. Yoav Gilad, Orna Mizrahi-Man F1000

A noter que les commentaires sous cet article "brouillon" sont très constructifs, et comprennent deux réponses détaillées des auteurs d'origine du consortium ENCODE.

Le tweet d'origine a fait beaucoup réagir dans le microcosme des biologistes des génomes, et a donné lieu a un compte-rendu dans le magazine Nature, où notamment l'auteur sénior (le chef quoi) de l'article d'origine, Michael Snyder, a déclaré que Gilad avait "brisé les normes sociales de la science en postant initialement sa critique sur Twitter" :
Michael Snyder, a geneticist at Stanford University in California and co-author of the original paper, stands by his team’s study and its conclusions and says that Gilad broke the “social norms” of science by initially posting the critique on Twitter. Gilad says that he took to social media to highlight his work, which might otherwise have been overlooked.

Cette réaction de Snyder a provoqué pas mal de réactions sarcastiques sur Twitter et blogs. Le ton général était qu'une publication scientifique est, bin, publique, et doit être critiquée publiquement. Et que la norme sociale de la science, ça doit être de faire les meilleures analyses et d'accepter la critique. Certains collègues pensent toutefois que Twitter est trop brutal, une appréciation que je ne partage toutefois pas. Si on reçoit énormément d'argent des contribuables pour faire de grosses études, qu'on les publie à grande fanfare dans les journaux les plus réputés, on doit s'attendre à être jugé et critiqué à l'échelle de cet investissement et de ce retentissement. A vrai dire, certains collègues éminents (Ewan Birney, Lior Pachter) ont dit que si l'analyse de Gilad était confirmée, l'article de Snyder devrait être rétracté, ce qui est très brutal. Et je pense que l'analyse va être confirmée. Le statisticien renomé en génomique Rafael Izarry a publié un billet sur son blog où il affirme que la mise en place de l'expérience était tellement faussée du départ que les auteurs ne pouvaient simplement rien trouver, et que donc toute l'analyse est forcément invalide. En fait, dans la discussion beaucoup de personnes disent que soit on enlève et le biais expérimental et l'effet (potentiel) espèce-spécifique, soit on confond les deux, mais ils ne sont pas démélables en l'état (voir à ce propos un excellent billet de Lior Pachter qui référence un billet du cafe-sciences dans les commentaires).

On revient à un point déjà traité précédemment sur ce blog, à propos des gros projets de génomique et autre "big science". Les scientifiques très connus et très établis, qui obtiennent de très gros budgets et publient fréquemment dans les plus grandes revues, ne sont plus à l'abri des critiques. Avant, elles existaient, mais ils pouvaient les ignorer, et surtout compter que les personnes les finançant et les jugeant les ignoraient. Maintenant, c'est public et c'est très rapide, et ces scientifiques et ces revues prestigieuses doivent s'habituer à une discussion beaucoup plus animée et critique qu'avant. C'est pour le mieux pour la science et c'est ça qui compte.

Anecdote personnelle : maintenant quand j'expertise ou j'édite un article (voir les rôles dans ce billet), je réfléchis avant de soumettre mon avis : que penserais-je si cet article était publiquement critiqué ? Serait-je fier ou honteux de mon rôle dans la publication. Et peut-être que je suis un peu plus prudent qu'avant, et c'est bien.