vendredi 24 août 2012

Impact de la bioinformatique : questions / réponses

[caption id="attachment_385" align="aligncenter" width="190"] cliquez sur l'image[/caption]

Récemment on m'a demandé quelques exemples d'impact de la bioinformatique, et avec la permission de ma correspondante, j'ai décidé de partager l'échange ici (traduit de l'anglais).

La question :
Je suis confrontée à la tâche difficile d'expliquer ce qu'est la bioinformatique tout en touchant les gens émotionnellement, si possible. Pourriez-vous me donner quelques exemples concrets et simples  - imaginez que vous parlez à votre grand-mère (non biologiste).

(Commentaire : pourquoi est-ce que quand on parle de gens qui ne comprennent pas les sciences et techniques, c'est toujours la "grand-mère" ou la "belle-mère" ? Il me semble qu'il y a un peu de sexisme là-dedans.)
a) Quels grandes avancées est-ce que la bioinformatique a permis dans la recherche en biologie ou en médecine ?


  1. Assembler et annoter le génome humain, à savoir mettre ensemble les pièces du puzzle (1 séquence brute = 1/3000000ème du génome), et faire sens de la série de lettres pour trouver les gènes, les marqueurs de maladies, les séquences régulatoires, les différences entre espèces, etc.

  2. Construire l'arbre de la vie.


b) Comment voyez-vous l'avenir de la bioinformatique et son impact sur la recherche et la société en général ?


  1. Futur de la bioinformatique et impact sur la recherche :

    • inclu dans toute la recherche en biologie, comme l'est déjà la biologie moléculaire ;

    • recherche continue dans de nouvelles directions, en raison de nouveaux défis continuels dans la génération des données, dans le type de questions posées, et dans l'échelle des données.



  2. Impact sur la société : les génomes et autres données biologiques devenant faciles et bon marché à obtenir, donner du sens à ces données, les stocker et les sécuriser, et mettre à jour en continu notres connaissance de chaque patient (voire de chaque animal de la ferme ou domestique) sera possible grâce à de la bioinformatique de qualité.


Suite à ces réponses, ma correspondante m'a demandé s'il n'y avait pas un risque d'abus de ces technologies. Ma nouvelle réponse :

Oui il y a un risque d'abus. Mais le fait est que la génomique personalisée arrive, que nous le voulions ou non. C'est comme discuter des risques de l'internet en 1995 (j'ai eu beaucoup de ces discussions à l'époque, et personne n'imaginait Facebook). Ce que nous devrions être en train de discuter est la manière d'optimiser les bénéfices et gérer les risques. Pour les deux aspects, la bioinformatique est cruciale.

Pour en rajouter un peu là-dessus : notre ADN est dans chaque cheveux que l'on perd, il est impossible d'empécher que quelqu'un puisse se procurer un échantillon de vous et le séquencer. Non seulement le prix du séquençage baisse, mais cela devient de plus en plus facile. Impossible de distinguer pour le moment l'effet d'annonce de la réalité, mais Oxford Nanopore nous promet une clé USB qui séquence un génome et met la séquence directement sur l'ordinateur, pour moins de $900. Alors il y a le coté "bienvenue à GATACA", mais aussi le coté aller voir un nouveau médecin, et il sait immédiatement que pour vous ce médicament ça ne marche pas trop, il faut doser cet autre un peu plus fort, et vous avez un risque de réactions négatives au troisième. On va encore me dire qu'on ne sait pas grand chose juste en connaissant le génome, mais je maintiens qu'on progresse très vite là-dessus. On en saura bientôt beaucoup.

vendredi 17 août 2012

Le facteur cool en science

[caption id="attachment_272" align="aligncenter" width="244"] Cliquez sur l'image. On a apparemment été nombreux à tweeter ce lien lors de la découverte du boson de Higgs[/caption]

Un sujet dont on ne parle pas souvent en public concernant la recherche scientifique, c'est le facteur "cool". A savoir qu'une des grosses motivations pour conduire un projet scientifique, c'est quand même que ça nous amuse beaucoup, et qu'on adore découvrir des nouveaux trucs pas croyables. Bien sûr on contribue aussi à guérir le cancer, sauver les baleines, et produire des piles qui durent 5% plus longtemps, mais il y a aussi ce plaisir très geek.

Par exemple, dans les discussions préliminaires à un nouveau projet, le facteur cool sera souvent un facteur déterminant dans le choix de la direction à prendre, et pour convaincre des collègues de collaborer. Ensuite, il faudra bien sûr utiliser des justifications plus adultes pour obtenir des sous, recruter des gens, tout ça. Mais plus subtilement, le facteur cool va rester, dans l'évaluation par les pairs, dans le recrutement d'étudiants motivés, et dans la publication finale des résultats.

Un bon exemple concernant la découverte récente du boson de Higgs :
A couple of years ago, I asked some physicists what would happen if they didn’t find the Higgs, and the answer was uniformly: “That would be the coolest thing ever! We’d have to develop a new understanding of how particle physics works.”

(L'excellent billet dont ceci est extrait contient également une bonne discussion de l'esthétique dans les modèles scientifiques, et d'autres questions.)

Et bien qu'on ne puisse pas mettre ceci en avant pour défendre les budgets de la recherche, ce qui est bien normal, ce facteur est une bonne chose. La recherche fondamentale avance par la curiosité humaine alliée à la rigueur intellectuelle. Sans motivation irrationnelle, on irait moins vite, moins loin, et parfois on n'irait pas du tout.

vendredi 3 août 2012

Enseigner une nouvelle génétique ?

[caption id="attachment_291" align="aligncenter" width="107"] cliquez sur l'image[/caption]

Un article récent dans PLoS Biology pose la question de l'enseignement de la génétique à l'ère de la génomique. L'auteur, Rosie Redfield, par ailleurs célèbre pour avoir bloggué ses efforts conduisant à montrer que les bactéries ne vivent pas d'arsenic et d'eau fraîche, part de l'expérience de son université en refondant leurs programmes de génétique de licence/bachelor.

Elle fait plusieurs observations, dont les plus frappantes sont :

  • les étudiants ne feront plus, en recherche ou ailleurs, de manipulations de génétique classique ;

  • la génomique et l'ADN sont omniprésents dans la société, comme ils ne l'étaient pas il y a une génération.


Dans son article elle donne des exemples de titres d'actualité tirés de Google news, pour montrer la part prise par la génétique dans la société. J'ai répété l'exercice en français (le 17 juillet) :

LE DOPAGE GÉNÉTIQUE, ENTRE FANTASME ET RÉALITÉ
UNE MUTATION GÉNÉTIQUE PROTÉGERAIT D'ALZHEIMER

GÉNÉTIQUE : LE CONTINENT AMÉRICAIN AURAIT ÉTÉ COLONISÉ EN TROIS VAGUES

SLA : DES MUTATIONS QUI METTENT LE CYTOSQUELETTE À MAL

BIODIVERSITÉ : LA LONGUE ROUTE DE NAGOYA

GÉNÉTIQUE: LA BANANE LIVRE SES SECRETS

Oui, en effet, la génétique est bien présente dans notre société à plein d'égards.

Elle note aussi qu'avec l'enseignement habituel de la génétique on passe du temps à expliquer des techniques surannées tout en ignorant les mécanismes moléculaires, inconnus à l'époque mais connus maintenant, et en traitant en priorité des cas simples qu'on savait déjà étudier, mais en négligeant la complexité que l'on a découvert grâce à la génomique. Par exemple, les étudiants apprennent que les allèles sont récessifs ou dominants, alors que la plupart des allèles n'entrent pas dans ce cadre, et que la dominance ou la récessivité est relative, pas absolue (à savoir A n'est pas toujours dominant, il peut être dominant sur B mais récessif par rapport à C).

Elle propose donc un changement radical, où au lieu de commencer par Mendel et ses petits pois, on commence par la génomique personalisée, on passe à la variabilité naturelle des génomes, puis on arrive à de la génétique moléculaire puis classique, pour finir sur les applications (cancer & friends).

Il y a une réaction relativement détaillée sur le blog de Larry Moran, auteur de livres de biochimie, qui est très négatif. Ses problèmes principaux sont que le nouveau programme proposé est trop centré sur l'humain, alors que ça doit être un cours de biologie fondamentale ; que ce curiculum commence par des concepts très difficiles à bien comprendre (mais je dirais que c'est souvent le cas, ce qui est une des raisons pour lesquelles la pédagogie comprend beaucoup de répétitions apparentes, de la première fois où on entend parler de quelque chose jusqu'au point où on le comprend) ; qu'elle met trop l'accent sur des questions auxquelles on peut répondre avec la génétique, et pas assez sur la génétique elle-même ; et qu'elle mélange des questions de génétique et des questions d'éthique (doit-on faire des tests génétiques personnalisés ?) (il en rajoute dans un 2ème billet auquel Rosie a répondu).

Si vous êtes intéressé à la question, je vous recommende de lire l'article (en anglais et en libre accès). Moi-même je n'enseigne pas la génétique, mais (1) je n'aurais pas tendance à jeter la génétique classique par-dessus bord si vite, (2) je trouve que la question mérite certainement d'être posée. Il y a eu de très nombreuses réactions sur twitter, environ 50-50 "enfin !" contre "c'est quoi ces conneries". Et une fois n'est pas coutume, il y a eu des réactions sur le site même du journal. La plupart positives, y compris par un auteur de livres de cours de fac, qui dit qu'elle a raison, mais que c'est difficile de changer le système.