lundi 25 juin 2012

Article d'opinion dans Le Temps sur le libre accès #openaccess

[caption id="attachment_245" align="aligncenter" width="288"] cliquez sur l'image[/caption]

Si tout va bien, un article d'opinion de ma part doit être sorti aujourd'hui dans le journal Le Temps. La version dans le journal inclut quelques modifications faites par le journaliste du Temps. J'ai décidé de mettre ici ma version originale. J'en profite pour l'enrichir de quelques liens, et remercier mes relecteurs, qui se reconnaitrons : Anne-Françoise, Christine, Dalit, et Julien.



Qui doit avoir accès aux résultats de la recherche? En ce moment, deux modèles s'affrontent. Dans le modèle classique, une équipe de recherche obtient des résultats sur fonds publics, écrit un article les décrivant, et soumet cet article à un éditeur scientifique. Celui-ci fait expertiser la qualité de l'article par d'autres chercheurs et le publie s’il le juge acceptable ; ni les auteurs ni ceux qui ont expertisé l'article ne sont payés. Les auteurs transfèrent les droits intellectuels sur l'article à l'éditeur qui a une licence exclusive pour le vendre. L'accès est limité aux universités et entreprises qui payent des abonnements très coûteux. Le modèle alternatif est dit "libre accès" (open access). Le processus est identique, sauf que ce sont les fonds de recherche qui payent les coûts de publication dès que l'article est accepté. L'article est ensuite librement disponible sur internet et les droits restent aux chercheurs qui s'engagent à autoriser la réutilisation. Les deux modèles sont économiquement viables, et la question est donc de savoir lequel est meilleur pour la société.

Un avantage du modèle classique est que les modes de gestion et de financement sont déjà bien établis. Les abonnements sont payés par les bibliothèques qui ont des budgets pour cela (même s'ils sont éprouvés par des hausses de prix de l'ordre de 145% en 6 ans), alors que le paiement des frais de publication libre accès est à la charge des groupes de recherche. Un autre avantage du modèle classique est que les sociétés savantes jouent souvent le rôle d’éditeur scientifique et tirent l'essentiel de leur revenu de ce modèle.

L'avantage majeur du modèle du libre accès est que tout le monde peut lire et réutiliser les résultats de la recherche. Qui bénéficierait d'un tel système ? D'abord la recherche elle-même. Aucune université n'est abonnée à toutes les revues scientifiques et le problème est d'autant plus aigu que l'institut est pauvre ou spécialisé. Pour encourager le développement scientifique et technologique hors des grands centres et pour encourager la recherche interdisciplinaire, nous avons besoin du libre accès. Ensuite, ce système est bénéfique pour les entreprises et particulièrement les PME et start-up. Pour qu'elles aient accès à la recherche la plus récente, et la transforment en croissance économique, nous avons besoin du libre accès. Les associations de malades bénéficieraient aussi du libre accès : de plus en plus, les personnes atteintes de maladies graves, rares ou chroniques, se regroupent et s'associent aux médecins pour comprendre leurs maladies et participer aux choix. Or à l'heure actuelle un patient peut participer à un test clinique sans avoir accès au compte-rendu des résultats. Ceci alors qu'il ne faut pas sous-estimer la capacité de gens très motivés à apprendre et comprendre tout ce qui concerne leur pathologie ou celle de leurs proches. Pour que les patients et leurs médecins aient accès à la recherche médicale, nous avons besoin du libre accès. L’accès facilité à la connaissance est également crucial pour répondre aux crises et pour le développement durable ; d'ailleurs, dans plusieurs cas de désastres humanitaires, comme le séisme de 2011 au Japon, les limitations à l'accès ont du être levées temporairement pour la zone frappée, pour permettre une réponse rapide et efficace. Pour transformer le savoir en développement, nous avons besoin du libre accès. Enfin, le grand public inclut beaucoup de passionnés de science et techniques, des astronomes amateurs, des protecteurs de la nature ou des bricoleurs hi-tech. Or actuellement, ils n'ont pas accès à la recherche, pas plus que ces relais de la connaissance que sont les enseignants du secondaire, ou que les institutions de formation qui ne sont pas dotées d’une importante composante recherche. Et n'avons-nous pas une obligation de diffuser auprès de tous les résultats concernant les OGM, le changement climatique, l’impact de la chasse sur les écosystèmes, ou les effets des antennes relais ? Pour que tous ceux qui sont curieux ou engagés aient accès au savoir, nous avons besoin du libre accès.

Et maintenant, que faire ? En Grande Bretagne et aux Etats-Unis, il existe des règlements qui, non contents d’encourager la publication en libre accès, vont jusqu’à la rendre obligatoire pour les chercheurs financés par certains fonds. C'est notamment le cas du Welcome Trust britannique qui s'engage également à couvrir les coûts de ces publications. Et en Suisse ? Le Fonds National de la Recherche Suisse (FNRS) demande aux chercheurs de rendre leurs articles libres d'accès, mais ne les y oblige pas et refuse de couvrir les frais éventuels. Pourtant c'est au niveau des soutiens financiers de la recherche que le changement doit se faire. N’est-ce par le devoir du FNRS et des universités de rendre obligatoire la publication libre accès et la financer ? Le rapport Finch publié récemment en Grande Bretagne estime que la transition aura un coût faible par rapport au budget de la recherche. Donc c'est possible. Obtenons l'accès à la science pour tous !

11 commentaires:

  1. [...] Si tout va bien, un article d’opinion de ma part doit être sorti aujourd’hui dans le journal Le Temps. La version dans le journal inclut quelques modifications faites par le journaliste du Temps. J’ai décidé de mettre ici ma version originale. J’en profite pour l’enrichir de quelques liens, et remercier mes relecteurs.  [...]

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  2. Synthétique, clair et précis. Voilà l'article parfait à faire lire aux cadres dirigéants des Unis/Instituts de recherche/Hôpitaux et à tous les bibliothécaires bien sûr !
    Je me permet d'ailleurs de le transmettre plus loin.

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  3. Via @Enroweb sur Twitter, cet excellente illustration (en anglais) de l'intérêt du libre-accès :
    http://partiallyattended.com/2012/06/26/go-fuck-yourself/

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  4. Promotion vidéo de la “radical openness” : http://vimeo.com/38260970 =)

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  5. Je présume qu'un article Open Access doit être écrit "de manière chiante et c'est bien" (http://toutsepassecommesi.cafe-sciences.org/2012/04/06/les-articles-scientifiques-sont-ecrits-de-maniere-chiante-et-cest-bien/).
    Mais est-ce qu'il nécessite tout de même une rédaction différente afin d'être compréhensible par un public plus élargie, et surtout pour éviter les récupérations par de mauvais esprits ? Un peu comme dans la BD en tête de billet : faudra-t-il écrire "Nous avons éliminé 10% des cellules cancéreuses dans la queue d'un rat de laboratoire. Ceci n'est pas la solution mais un nouveau pas pour la recherche." ?

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  6. Bonne remarque. Les journaux PLoS, pionniers et militants du libre accès, exigent un résumé "grand public". A ma connaissance, la qualité de ce résumé dépend surtout de la bonne volonté des auteurs, mais il doit y être.

    Exemple :
    http://www.ploscompbiol.org/article/info:doi/10.1371/journal.pcbi.1002514#abstract1

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  7. [...] aux profs de lycée, aux journalistes, bref j’en ai déjà parlé ailleurs (et aussi ici), mais quand une étude est potentiellement si importante pour tout le monde, ça me paraît [...]

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  8. [...] sur l’excellent blog de Mike Taylor (paléontologue amateur qui publie et grand défenseur du libre accès), dans lequel il discute le fait qu’un article expertisé (peer reviewed) ne garantie pas [...]

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  9. […] à la qualité scientifique ? » (explication de ce qu’est l’open access dans ce billet). Le texte contient beaucoup de bonnes choses, mais je trouve qu’il complique un peu trop la […]

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