dimanche 9 août 2015

Le principe de précaution est-il toujours appliqué sans discernement ?

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Dans un article récent de l'excellent blog Kidisciences, il y a un article qui fait un bon point sur l'idée persistente (mais apparemment fausse) qu'il ne faut pas nager après avoir mangé : Info ou intox : Il faut attendre deux heures avant d’aller nager après avoir mangé Une phrase m'a frappé dans ce billet :
En fait, comme souvent avec le principe de précaution – qui est toujours appliqué sans discernement – on fait en vérité plus de dégâts en croyant les éviter.

D'une part, je comprends la frustration des auteurs. Le principe de précaution est souvent utilisé en effet comme le principe "je ne comprends pas, donc non", ou le principe "c'est nouveau, on ne peut pas garantir 0% risque, donc non". Mais le principe de précaution dans son intention n'est pas sans discernement me semble-t-il. Il dit qu'en l'absence de données on peut déjà prendre des précautions, notamment en cas de soupçons de risques pour l'environnement ou la santé. Comme je le comprends, bien appliqué, il n'exclut ni de continuer la recherche, ni de réviser les mesures de précaution à la lumière de données plus complètes lorsqu'elles deviennent disponibles. Au contraire dirais-je. Ca a donné lieu à une petite discussion Twitter avec le principal auteur du billet, Alan de Podcastscience :


Donc voici la réponse plus longue que je lui avais promise : le principe de précaution il me semble peut se baser sur des faits. Clairement, les peurs font partie de l'équation, mais si c'est rationnel (et on peut être d'accord que la plupart des prises de décision dans notre monde ne le sont que partiellement) alors les peurs font place aux faits au fur et à mesure du progrès des connaissances. En termes bayésiens : Proba(conséquences négatives sachant faits) = Proba(faits si des conséquences négatives) x Proba(conséquences négatives) / Proba(faits) Lorsqu'on a peu de faits informatifs, l'équation est dominée de manière rationnelle par la probabilité de conséquences négatives en l'absence de faits. Lorsque les faits deviennent informatifs, l'équation devient dominée par ces derniers, notamment à travers le terme Proba(faits si des conséquences négatives) (voir ce billet).

Pour revenir à l'exemple inépuisable des OGM, appliquer le principe de précaution quand ils étaient nouveaux et que l'on savait relativement peu n'était pas forcément irrationnel. Aujourd'hui, appliquer ce principe de manière générale aux OGM, avec ce que l'on sait, est par contre bien "sans discernement". Mais l'appliquer encore aujourd'hui au saumon OGM en l'état des connaissances me parait justifié, "avec discernement" pourrais-je dire.

Voilà, ne jetons pas le bébé d'un principe qui peut être utile avec l'eau du bain des abus par des politiciens et lobbys divers.

(Ce billet et la discussion dans les commentaires sont discutés sur le site de Journal International de Médecine.)

9 commentaires:

  1. "Il dit qu’en l’absence de données on peut déjà prendre des précautions,"

    Eh non!
    Comme le principe de précaution est une norme juridique, il faut regarder comment les Cours les plus hautes dans l'ordre judiciaire le définissent. Elles disent toujours (par ex. la CJUE) que de simples hypothèses ne suffisent pas à justifier des interdictions. A contrario, ça veut dire qu'on a déjà des données, de façon à séparer les scénarios farfelus des autres.

    Le problème avec le principe de précaution, c'est l'exploitation médiatique qu'on peut en faire. Une fois qu'on arrive à médiatiser un cas en faisant accroire qu'il relève du principe de précaution, tous les défauts qu'on connaît apparaissent en masse: c'est celui qui fait le scénario le plus noir qui gagne, décrédibilisation permanente des scientifiques "officiels", demande de dommage zéro, etc.

    Dans le temps, j'avais écrit quelques billets sur le sujet, alors plutôt que de faire un commentaire sans fin, je mets le lien vers le 1er billet --> http://epi.proteos.info/index.php?post/2011/01/12/Le-principe-de-pr%C3%A9caution

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  2. Les raisonnements théoriques autour du principe de précaution me laissent toujours un peu sur ma faim. Je n'arrive jamais à avoir un avis bien tranché. Je ne sais pas quoi en penser. Surement un peu trop abstrait pour moi.

    Ne peut-on pas faire plutôt une analyse rétrospective objective du principe de précaution ? Lister toutes les situations où le principe de précaution a été effectivement appliqué, et avec le recul et les nouvelles connaissances, juger si son application a été plus bénéfique que néfaste.

    J'avoue, mon idée reste très floue, je ne sais pas trop comment procéder ...

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  3. […] Dans un article récent de l’excellent blog Kidisciences, il y a un article qui fait un bon point sur l’idée persistente (mais apparemment fausse) qu’il ne faut pas nager après avoir mangé : Info ou intox : Il faut attendre … Lire la suite → Continue...  […]

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  4. Merci pour le lien, que je vais lire dès que j'aurais le temps (mon département organise une conférence cette semaine...).

    Pour ma compréhension juridique, n'étant pas juriste ni même ni sachant bien où rechercher, je vais citer Wikipedia :

    En France, la loi Barnier de 1995 précise que « l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ».

    Alors je prends le mot "certitudes" avec un grain de sel, vu qu'on n'en a jamais, et j'ai interprété cela probablement cavalièrement comme voulant dire qu'on pouvait agir, peut-être pas en l'absence de données, mais en l'absence de données suffisantes pour orienter l'action.

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  5. Lister toutes les situations? Il faudrait être un véritable expert de la question!
    Mais la forme la + classique du principe de précaution, c'est le parcours que doivent faire les nouveaux médicaments avant d'arriver sur le marché. Tous les médicaments ont des contre-indications. Pour arriver sur le marché, ils doivent montrer, que les bénéfices qu'ils apportent dépassent les effets de ces contre-indications, avec une certaine marge. Bien sûr, le processus est exploité par les firmes pharmaceutiques, notamment en ne dévoilant qu'une partie des tests effectués, mais final ça permet de grosses déconvenues. En échange, ça coûte très cher de développer un médicament.
    Dans le domaine de l'environnement, c'est plus dur de trouver quelque chose où le principe de précaution a mené à qqch de concret de façon justifiée. En partie à cause de la médiatisation, qui entraîne le dévoiement du principe, mais si qqch n'est pas médiatisé, il faut être spécialiste d'un domaine pour connaître.

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  6. d'éviter de grosses déconvenues, bien sûr…

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  7. […] cliquez Dans un article récent de l'excellent blog Kidisciences, il y a un article qui fait un bon point sur l'idée persistente (mais apparemment fausse)  […]

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  8. […] “Dans un article récent de l’excellent blog Kidisciences, il y a un article qui fait un bon point sur l’idée persistente (mais apparemment fausse) qu’il ne faut pas nager après avoir mangé : Info ou intox : Il faut attendre … Lire la suite → Continue...”  […]

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  9. Vianney BRÉARD29 août 2015 à 14:15

    Il ne faut pas oublier le versant sociologique pour mieux appréhender les problèmes soulevés par le principe de précaution. A ce sujet voici 2 références à consulter :
    - "L'inquiétant principe de précaution" de Gérald BONNER et Etienne GEHIN au PUF
    - "La planète des Hommes - réenchanter le risque" du même Gérald BRONNER

    Plutôt que de ne pas faire s'il existe le moindre risque, apprenons à comparer le risque de faire à celui de ne pas faire !
    Pour l'exemple du risque de se baigner après un repas, l'article du blog Kidisciences a l'intérêt de montre qu'il existe des risques biens réels à interdire le bain dans les 2h suivant un repas alors que les risque d'un bain après un repas n'ont jamais été démontrés !

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