Une fois de plus, un livre a été publié à grand fracas aux Etats-Unis, se proposant de montrer qu'il y a des différences entre races humaines, expliquées par la génétique. Dans ce cas précis, il prétend s'appuyer sur les travaux de ces dernières 15 années en génomique humaine, et en plus affirme apparemment que des différences même récentes, mêmes entre peuples proches, sont dues à des changements génétiques rapides. Par exemple la stabilité de la Grande Bretagne, et la révolution industrielle dans ce beau pays ? C'est parce que les enfants des riches survivaient mieux que ceux des pauvres, donc les gènes de stabilité de travail et d'intelligence des riches se sont répandus. Non vous ne rêvez pas.
L'auteur, Nicholas Wade, est un journaliste scientifique. Il affirme bien sur être purement conduit par le souci de la vérité scientifique, et n'avoir aucune intention politique. Par contre, tous ceux qui le critiquent n'ont forcément rien compris à la science de la génétique humaine moderne, et ne sont conduits que par des considérations politiques, et n'osent pas regarder la réalité en face. (Ca me rappelle un tout petit peu les réactions aux critiques de l'étude Séralini et al.)
Cet été, pendant que vous faisiez un trek en Mongolie extérieure sans réseau internet, les généticiens cités dans le livre, plus quelques autres généticiens connus pour leur travail sur les génomes et l'évolution humaine, ont écrit une lettre ouverte concernant le livre (lettre sur le site de Stanford ; la même au New York Times ; commentaire sur le site de Nature), qui dit en substance, premièrement que la principale critique publiée du livre est excellente (la critique, dans le New York Times) et qu'ils remercient son auteur, et deuxièment que la recherche en génétique des populations (l'étude des différences génétiques entre individus et entre populations) ne soutient aucunement les conclusions du livre. Je cite :
We are in full agreement that there is no support from the field of population genetics for Wade’s conjectures.
Parmi les signataires on trouve mes collègues Laurent Excoffier de Berne, Henrik Kaessmann de Lausanne, et Emmanouil Dermitzakis de Genève (tous membres de l'Institut suisse de bioinformatique). (Je n'ai pas signé parce que je ne travaille pas sur les populations humaines hors de ma collaboration avec Laurent Excoffier, voir ici.)
Je suis frappé par la fréquence des réactions du type "ce n'est pas des vrais scientifiques, ils ne disent ça que parce que c'est politiquement correct, d'ailleurs les noirs courent plus vite", par exemple sur le forum techno-geek Slashdot. Bin non, la génétique c'est compliqué et ça ne montre simplement pas les bétises de Wade en l'état de nos connaissances.
Pour finir, je renvoie à mon premier billet de blog au C@fé des sciences, sur l'existence ou non des races humaines. A ma connaissance, ce que j'y ai écrit reste valable.
"La Mal-mesure de l'homme" de S. J. Gould est donc, malheureusement, plus que jamais d'actualité :(
RépondreSupprimer[…] Une fois de plus, un livre a été publié à grand fracas aux Etats-Unis, se proposant de montrer qu’il y a des différences entre races humaines, expliquées par la génétique. […]
RépondreSupprimerA chaque fois que je tombe sur ce genre de trublion, j'aime citer cette belle phrase : « Toute tentative de classification en races humaines est soit impossible, soit totalement arbitraire » Luigi Luca Cavalli-Sforza
RépondreSupprimerOui Alexandre, feu S.J Gould explique et dénonce cette récurrence au long du 20 eme siècle de cette idée d'intelligence innée mesurable par un seul critère. Il dit que cette idée revient en contexte de crise indépendamment des avancées scientifiques qui tendent pourtant à montrer l'inefficacité de cette hypothèse.
RépondreSupprimerMais l'opinion public a envie de croire aux différences qui feraient des blancs des êtres supérieurs... Quels nuls pensent on souvent. Et pourtant dans le même registre des pensées de nature discriminatoires reposant sur des critères non objectifs : nous croyons bien qu'il existe des différences biologiques qui confèrent légitimement aux humains des droits sacrés par rapport a ses cousins mammifères qu'il peut donc exploiter à souhait et sans relâche jusqu'à la mort.