jeudi 2 octobre 2014

Dialogues #OGM : Jan van der Meer, Professeur en microbiologie environnementale

EscherichiaColi NIAID.jpg
"EscherichiaColi NIAID" by Credit: Rocky Mountain Laboratories, NIAID, NIH - NIAID: These high-resolution (300 dpi) images may be downloaded directly from this site. All the images, except specified ones from the World Health Organization (WHO), are in the public domain. For the public domain images, there is no copyright, no permission required, and no charge for their use.. Licensed under Public domain via Wikimedia Commons.

(Ce dialogue s’inscrit dans une série, voir introduction dans ce billet.)

Marc Robinson-Rechavi (MRR): Salut, et merci d’avoir accepté ce dialogue. Et d’autant plus merci de conduire le dialogue en français, qui n’est pas ta langue maternelle. Est-ce que tu peux s’il-te-plaît nous résumer en 3 phrases ta formation et ta carrière scientifique ?

Jan van der Meer (JvdM): J’ai fait mes études en sciences environnementales aux Pays-Bas, puis une thèse en microbiologie. Ensuite j’ai fait un postdoc au Dairy Research Institute (aussi aux Pays-Bas), ou j’ai travaillé sur les bactéries lactiques. Après, je suis parti pour la Suisse ou j’ai commencé un groupe de recherche en microbiologie moléculaire et environnementale à l’Institut de la recherche aquatique (Eawag) à Zurich. En 2004, j’ai commencé à l’Université de Lausanne.

MRR: D’où viens-tu en ce qui concerne les OGM ? Quelle était ta position de départ, et où en es-tu aujourd’hui ?

JvdM: Une partie de ma recherche était en biorémediation, une application des bactéries pour rendre inoffensifs des polluants dans l’environnement. Déjà dans les années 1990, on a parlé de l’application des “superbugs”, bactéries génétiquement modifiées pour dégrader toute sorte de polluants au même temps. Ca a provoqué plusieurs études notamment pour essayer de limiter leur survie, mais après les gens ont réalisé que dans la plupart des cas ce type de bactéries de toute manière ne survivent pas trop bien. L’idée a persisté et on parle à nouveau des constructions des bactéries dans la cadre de la biologie synthétique. Donc, je suis parti plutôt positif mais suis devenu plus “réaliste”.
Un autre part de ma recherche concerne la création des “biosenseurs” ; des bactéries qui montrent la présence des polluants en produisant des couleurs et de la bioluminescence, dont on pense qu’elles seront très utile en pratique (voir cet article par exemple).

MRR: Alors par “super bug”, toi tu n’entends pas bactérie résistante aux antibiotiques ? C’est le sens que je vois le plus souvent.

JvdM: Non, à l’époque un superbug était une bactérie capable de dégrader différents polluants. Maintenant il y a un autre sens au mot.

MRR: Alors au départ c’était des super héros, et maintenant c’est des super vilains. ;-)
Dans ta description de ta recherche passée, tu dis qu’on s’est rendu compte que les bactéries modifiées survivaient mal ou pas hors du labo. Est-ce que tu penses que c’est une généralité ? A quel niveau sont les risques potentiels de “contamination” ?

JvdM: Je pense que c’était plutôt du au fait que les chercheurs n’ont pas compris quels sont les facteurs qui déterminent la survie des bactéries en culture pure, ré-introduits dans un environnement complexe qui contient déjà beaucoup d’autres microbes. Un autre résultat important des études à l’époque était qu’il n’y a pas de “zero risk” : il y aura toujours certaines bactéries qui s’échappent et survivent.

MRR: Alors tu parles de risque, plus tôt tu parlais de “réalisme”. Quels sont ces risques, et par rapport à quoi dirais-tu que tu as perdu ton optimisme peut-être naïf ?

JvdM: Les risques sont typiquement définis comme les dangers que posent une introduction des bactéries non-natives dans un écosystème. Par exemple, l’introduction d’un type de bactéries pourrait causer un important changement dans la composition de la communauté native, dont le résultat est un changement de fonction de cette communauté. Un autre danger (dans le cas d’un organisme potentiellement pathogène) pourrait-être sa survie et le risque d’une infection ou maladie chez des animaux, plantes ou êtres-humaines.

Je suis devenu plus “réaliste” dans le sens de ce que peuvent offrir la science et la technologie. On a tous des rêves, mais seulement une partie se concrétise.

MRR: Est-ce que ces risques sont augmentés par la technologie OGM ?

JvdM: Non, je ne crois pas. C’est difficile de créer des microbes encore plus dangereux par rapport aux organismes qui existent déjà.

MRR: Plus dangereux, tu veux dire pathogènes ? Tu inclus les risques pour l’environnement ? Certains pourraient arguer que le même pathogène, mais résistant à un antibiotique, est forcément “plus dangereux”, non ?

JvdM: Pathogènes - oui. Parce que c’est ça qui est souvent évoqué. Malheureusement pour nous, les pathogénes aussi dans la nature développent rapidement des résistances contre les antibiotiques, qui est plutôt du au phénomène du transfert horizontal de gènes et une application globale des antibiotiques (qui crée des environnements sélectifs pour la survie des microbes résistants).

MRR: Une question proche est celle de la biologie synthétique. Quel rapport avec les OGM ? Est-ce la même chose ou y a-t-il une différence ?

JvdM: La biologie synthétique est vu souvent comme une “extension” de la technique OGM, mais elle est différente à la base. La biologie synthétique propose de comprendre la vie en re-créant les fonctions du vivant. L’OGM était une technique pour modifier le contenu des gènes. La biologie synthétique est beaucoup plus puissante et ses technologies sont capables de dessiner et de produire des génomes artificiels.

MRR: Y a-t-il déjà des succès ou des erreurs de la biologie synthétique ? Tu peux me donner un exemple ?

JvdM: Il y a des résultats (scientifiquement) impressionnants, mais je ne sais pas si pour toi ça sont des succès ! Personnellement, je trouve la synthèse artifielle d’un génome bactérien et d’un chromosome de levure fascinants et de grands accomplissements. Egalement, la création d’un code génétique différent et de ribosome dits orthogonals sont extrèmement intéressants. Du point de vue applications il y a plusieurs exemples de voies métaboliques assemblées dans un seul microbe pour pouvoir produire des substances autrement difficile à générer (voir cet article).

MRR: Alors en biologie synthétique on crée des choses qui n’existaient pas en biologie, alors qu’en OGM on se “contente” de déplacer des choses existantes. C’est en cela que finalement les OGM ne changent pas grand chose aux risques et à leur évaluation à ton sens ?

JvdM: Dans le monde des microbes, on pourra dire que éventuellement tous les gènes finiront par être déplacés entre différents espèces. Donc, les changements qu’on effectue en OGM souvent se trouvent quelque part dans la nature (voir par exemple cet article). Les introductions du matériel génétique d’un insecte dans une plante est probablement moins naturel. Par contre les risques associés à une technique viennent plutôt d’une application après - par exemple, une introduction à large échelle des plantes OGM.

MRR: Je vois que dès ton postdoc tu avais un rapport avec la biologie appliquée à l’agriculture. Comment vois-tu les relations entre biotechnologies et agriculture ?

JvdM: Peut-être il faut plutôt parler d’une industrialisation de l’agriculture? Les produits de l’agriculture sont utilisés dans certains biotechnologies, et certains (bio)technologies peuvent être appliqueés dans l’agriculture. Dans mon domaine de recherche, on est très axé sur la synthèse des produits chimiques de base à base des matériel des plantes, pour finalement pouvoir remplacer l’utilisation du pétrole. Il y a aussi la question des biocarburants et de trouver des méthodes pour pouvoir garantir une disponibilité des carburants à la base du matériel des plantes, digéré par des enzymes microbiennes.

MRR: Donc ton labo produit des OGM, avec un aspect quand même assez appliqué. Quelles sont vos relations au milieu industriel ?

JvdM: Disons c’est plutôt difficile de convaincre des industries de reprendre des inventions du labo, mais dans un cas précis une de nos bactéries sera produit en forme industriel. La on parle d’une bactérie capable de détecter l’arsenic dans l’eau potable, que le partenaire industriel incorpora dans un kit de détection commercial.

MRR: Comme tu le sais, j’étais à la thèse de ton étudiant qui a développé ce système, et j’ai été frappé par les questions de l’audience à la soutenance publique. Les gens semblaient avoir davantage peur de bactéries OGM que de l’arsenic. Comment réagis-tu à cette défiance par rapport à vos travaux ?

JvdM: Je peux te raconter une autre histoire. Pour un projet de recherche on était autorisés à contaminer la mer avec 10 mètres cubes de pétrole brut, mais c’était impossible d’obtenir une autorisation officielle d’utiliser 50 millilitres de culture d’une bactérie OGM capable de mesurer des substances toxiques dans l’eau marine. Heureusement, les gens qui sont affectés par la contamination d’arsenic n’ont pas de problèmes à utiliser nos bactéries inoffensives. D’ailleurs, l’application des tests se fait dans des systèmes “fermés”, qui est obligé par la reglèmentation.

MRR: Mais ça te peine, ça t’énerve, ça ne te touche pas ?

JvdM: Non. Je crois de me rappeller que notre test d’arsenic était mentionné en Allemagne par Greenpeace comme un exemple positif de l’OGM.

MRR: Mieux que le riz doré !

MRR: Une technologie émergente est les systèmes CRISPR. Cela change-t-il les règles du jeu ? Tu peux nous en dire 2 mots stp ?

JvdM: La technologie CRISPR changera certainement les possibilités d’ingénérie dans les eukaryotes, ou auparavant c’était très difficile de créer des mutations dirigés. CRISPRs sont des systèmes naturels des prokaryotes, mais adaptés aux eukaryotes.

MRR: Alors quel serait ton mot de la fin pour le moment ? Ton message “take home” sur biologie et OGM ?

JvdM: Oubliez les OGM, il y a des problèmes plus urgent que ça. Exemple: pourquoi l’eau en bouteille est-elle plus cher que des carburants?

Page web du Prof van der Meer : http://www.unil.ch/dmf/home/menuinst/research-units/van-der-meer.html

8 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cette série. J'ai trouvé à la fois drôle et consternant le passage sur les autorisations de polluer avec du pétrole mais pas d'utiliser quelques bactéries OGM.

    Au passage, niveau formatage, je pense qu'on gagnera en lisibilité en distinguant réponses et questions (en gras, couleurs différentes ou autres).

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  2. […] 2 octobre, Jan van der Meer, Professeur en microbiologie environnementale […]

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  3. Formattage : c'est plus clair avec les italiques ?

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  4. […] « EscherichiaColi NIAID » by Credit: Rocky Mountain Laboratories, NIAID, NIH – NIAID: These high-resolution (300 dpi) images may be downloaded directly from this site.  […]

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  5. C'est déjà mieux. Je serai plus friand d'un plus for contraste (questions en gras ou d'autre couleurs par exemple) mais je comprends que l'on puisse vouloir mettre questions et réponses sur le même niveau.

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  6. CRISPR, késako en quelques mots pour le profane.

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  7. Oups désolé, comme on n'a pas poursuivi ce sujet, je n'ai pas expliqué. Le CRISPR, c'est un genre de système immunitaire des bactéries, qui permet de faire des constructions génétiques chez les animaux et les plantes, qui les "reprogramment" d'une certaine manière, en délétant ou inhibant des gènes bien précis.

    Explication rapide dans ce billet de blog de Coffee Break Science :

    http://coffeebreaksciencefr.wordpress.com/2014/01/11/decouvertes-de-lannee-2013-le-palmares-de-science/

    Page Wikipedia :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Clustered_Regularly_Interspaced_Short_Palindromic_Repeats

    Des applications expliquées sur Wikipedia en anglais :

    http://en.wikipedia.org/wiki/CRISPR#Applications

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  8. Je vois qu'ici et sur twitter tout le monde a focalisé sur l'histoire avec le pétrole et les bactéries. Je tiens juste à dire qu'il n'y a rien de fondamentalement illogique à l'anecdote racontée.

    Si je suis un peu ignorant, et que je me méfie des "bactéries ogm" comme un genre de virus qui risque d'être contagieux, peu m'importe la quantité. Il ne sera pas question pour moi de risquer un contact avec un milieu non borné, comme la mer. Ce serait comme de lâcher un virus mortel dans un grande ville en disant que ouais mais c'est pas une grande quantité et pis de toutes façons les voitures polluent vachement.

    Le pétrole en revanche je sais ce que c'est. C'est dangereux, mais pas contagieux, et son impact n'est pas fondamentalement dramatique. Des tas de bateaux en lâchent tous les jours dans toutes les mers, même s'ils ne s'en vantent pas.

    Bref, je comprends que la conclusion puisse être mauvaise, mais c'est un problème de (mé)connaissance et pas de logique, ce n'est pas forcément aussi caricatural que ça.

    J'anticipe les réactions: j'espère qu'il est bien clair que je ne suis ni pour ni contre bien au contraire, mais simplement que ça n'a rien d'évident ou de ridicule.
    On diminuera le fossé entre scientifiques et population quand on arrêtera de part et d'autre de caricaturer, d'une part les vieilles barbes pontifiantes ou les jeunes frankenstein en puissance, d'autre part les idiots intoxiqués de méchants médias qui ont peur de leur ombre.

    Et toc :-)

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