jeudi 17 novembre 2016

Plus loin de l'Afrique, plus de mutations délétères mais moins de variabilité génétique humaine

L'humanité (Homo sapiens) vient d'Afrique sub-saharienne. Il y a environ 50'000 ans certains humains sont sortis d'Afrique et leurs descendants se sont dispersés un peu partout dans le monde, voir carte ci-dessous.

[caption id="attachment_3290" align="aligncenter" width="697"]Dispersion de Homo sapiens ces dernières 50'000 ans. Points colorés : échantillons utilisés dans l'article que dont il est question plus bas. Dispersion de Homo sapiens ces dernières 50'000 ans. Points colorés : échantillons utilisés dans l'article que dont il est question plus bas.[/caption]

Une question intéressante, et qui nous ramène à la question de la pertinence de la classification des humains en "races", est l'effet de cette histoire sur la diversité génétique humaine.

Pour bien comprendre ce qui va suivre, quelques éléments de génétique des populations :

Premièrement, une mutation peut avoir un effet bénéfique (super rare, améliorer un truc en le modifiant au hasard), négatif (casser un truc qui marche c'est facile), ou neutre (aucun effet, très fréquent dans les génomes d'animaux ou de plantes). Voir ce billet pour les types de sélection naturelle correspondant aux deux premiers ; les mutations neutres ne sont pas soumises à la sélection naturelle.

Deuxièmement, plus une population est grande, plus la sélection naturelle est puissante. Cette observation simple a de grandes conséquences. Lorsque la population est plus petite, la sélection naturelle est moins puissante. Alors une mutation qui a un effet faiblement négatif ne sera pas éliminée, et se comportera comme si elle était neutre. Il s'agit d'un effet continu : plus la population est petite, plus une mutation devra être grave pour être éliminée, plus de mutations se comporteront comme si elles étaient neutres.

Ca se corse et ça devient intéressant : lorsqu'il y a expansion par migration (comme lors de la sortie de certains humains d'Afrique), le groupe qui part est un sous-ensemble de la population globale. Donc déjà du départ il n'emporte pas toute la variabilité génétique. Si je prends 100 parisiens au hasard j'aurais moins de diversité (génétique, de noms de famille, de goûts vestimentaires) que dans tout Paris. Si quelques milliers d'humains sont partis d'Afrique, ils avaient moins de diversité qu'il n'y en avait dans l'humanité en Afrique. Et ces migrants, étant peu nombreux, formaient une petite population. Donc sélection naturelle faible, faible élimination de mutations délétères. Et ce phénomène se reproduit au fur et à mesure des étapes suivantes d'expansion de l'espèce : ceux qui vont plus loin sont toujours un sous-ensemble ayant perdu de la diversité de départ et ayant du mal à éviter les mutations délétères.

Est-ce que l'on observe bien cela ? C'est l'objet d'un article publié en janvier 2016 :
Henn et al 2016 Distance from sub-Saharan Africa predicts mutational load in diverse human genomes PNAS 113: E440-E449

Première figure : le taux de variabilité génétique dans les 7 populations échantillonnées sur la carte ci-dessus (les couleurs correspondent) :

[caption id="attachment_3296" align="aligncenter" width="291"]Hétérozygotie de 7 populations humaines, classées selon leur distance à l'origine africaine de l'espèce Hétérozygotie de 7 populations humaines, classées selon leur distance à l'origine africaine de l'espèce[/caption]

Que voit-on ? Le plus de variabilité génétique dans les populations descendantes des humains jamais partis du lieu d'origine de l'espèce. Et de moins en moins de variabilité génétique lorsque l'on s'éloigne de l'Afrique, pour arriver à un minimum en Amérique (il s'agit de descendants des amérindiens arrivés par le détroit de Béring), au plus loin de l'Afrique en marche à pied.

Deuxième figure, pareil mais en ne montrant que les mutations qui sont probablement délétères (ici on suppose que de l'ADN généralement conservé entre primates est probablement important, donc le modifier est probablement délétère) :

[caption id="attachment_3298" align="aligncenter" width="245"]Fréquence des mutations délétères dans 7 populations humaines Fréquence des mutations délétères dans 7 populations humaines, classées selon leur distance à l'origine africaine de l'espèce[/caption]

Que voit-on ? Plus on s'éloigne de l'Afrique, plus on a de mutations délétères accumulées, comme attendu. Plus en détail, on a :

[caption id="attachment_3299" align="aligncenter" width="500"]Pareil que la figure précédente, mais en trois catégories : peu délétères, moyennement, et très délétères. Pareil que la figure précédente, mais en trois catégories : peu délétères, moyennement, et très délétères.[/caption]

On voit que pour les mutations un peu mauvaises (à gauche et au milieu), l'effet de la distance à l'Afrique est très fort, avec un de plus un saut entre africains et les autres. Alors que pour les mutations très mauvaises (à droite), il y a un effet de la sortie d'Afrique, mais faible, et pas d'effet mesurable des migrations suivantes. On peut penser que la plupart de ces mutations très mauvaises sont éliminées même avec une population assez petite.

Conclusions : (1) la diversité de l'espèce humaine est en Afrique sub-saharienne ; (2) ce qui distingue le plus les humains hors d'Afrique sub-saharienne (y inclut tous les blancs et asiatiques) des africains (donc la plupart des noirs), ce sont des mutations à effet négatif, qui font que nous sommes moins aptes génétiquement (je dis nous parce que c'est mon cas, ne vous sentez pas visé si vous avez la chance d'être africain).

14 commentaires:

  1. Question : pourquoi la pression sélective est plus forte dans une grande population ?

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  2. […] Source : Plus loin de l’Afrique, plus de mutations délétères mais moins de variabilité génétique huma… […]

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  3. Bonne question, mais pas vraiment le temps de répondre prochainement en détail. Disons que si la population est très faible, des effets au hasard auront beaucoup d'impact. Si vous avez 10 individus, dont 1 a un avantage, il y a des chances qu'il meure par hasard malgré cet avantage. Si vous avez un milliard d'individus, dont 100 millions ont un avantage, il y a des chances qu'un bon nombre puisse utiliser cet avantage.

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  4. Les plus robustes sont ceux qui sont restés à la maison ... c'est marrant ça contredit un peu l'idée "suggestive" que ceux qui sont partis à l'aventure ont rencontrés des biotopes et des difficultés nouvelles qui "normalement" auraient du contribuer à renforcer la sélection et donc à ne retenir que les "mutants" les plus costauds...
    C'est aussi l'inverse finalement de la pensée populaire qui voit dans le voyage et l'aventure l'occasion de devenir globalement plus expérimenté et plus fort (mais là on ne parle pas de génétique).

    Ceci dit en me relisant, je ramène à l'individu ce qui est constaté dans une population ... une population plus robuste parce que globalement génétiquement variée et avec moins de mutations délétères ne veut pas dire que chacun des individus qui la constitue est nécessairement plus "robuste" que celui d'une autre population ... disons qu'il a plus de chance de l'être.

    Mais ça va rabattre le caquet de quelques-uns qui se la ramène encore sur la supposé "supériorité de la race blanche"... que mesure t'on? La réussite d'un système économique et politique né du hasard de l'histoire (qui ne doit donc rien en particulier aux individus, mais bien plus à une configuration géographique), ou celle de gènes particuliers? Tu apportes une belle réponse claire et définitive.

    Et vive les métissages pour rebrasser tout ça et compliquer un peu le travail des généticiens !! :D

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  5. Merci, je vois l'idée. A priori la mutation arrive à un individu (et non à une population) et doit se propager ... Dans une grande population, elle a des chances de se propager plus vite et de gagner une masse critique qui va l'empecher la mutation de disparaître par "malchance" des quelque individus de départ.

    J'en profite pour dire que j'aime bien ce blog; merci pour les articles.

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  6. Food for thought:

    Que répondrais-tu à qqu'un qui te dirait que ta conclusion est raciste?
    (en faveurs des noirs et pas le contraire, mais raciste quand même)

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  7. Hello Julien,

    Tu as raison ... je me suis un peu emballé dans ma prose. Marc si tu veux biffer le paragraphe correspondant, ne te gêne pas ....

    Je m'interroge par contre sur l'étude et la méthode qu'ils ont utilisée pour sélectionner les populations sur chacune des zones géographiques. Etant donné le brassage de population des 50 dernières années, il y a matière à question non? Si pour éviter ça ils ont pris des populations très isolées il y a un risque de biais important non ? Mais je dis peut être / sans doute, encore de grosses bêtises.

    Ensuite la notion de gênes délétères repose sur le postulat exposé à savoir "(ici on suppose que de l’ADN généralement conservé entre primates est probablement important, donc le modifier est probablement délétère)" ... peut être que parmi ces modifications certaines présentent en fait des avantages évolutifs par rapport aux biotopes rencontrés? Peut-être encore une grosse bêtise ou une incompréhension ...

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  8. Je précise que je m'adressais à MRR, pas à toi Théo!

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  9. :o) Il n'empêche que dans mes propos je continuais sur la même lignée ...

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  10. Sur la méthode d’échantillonnage des individus, il est courant de vérifier (demander aux individus) que les grands parents sont natifs du lieu. Ainsi on peut assurer une présence des ancêtres avant ~1940 et ça évite les migrations récentes.

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  11. Je me pose la question de l'intérêt de cette conclusion. Vous utilisez des résultats scientifiques pour faire passer un message qui - une fois encore - s'amuse à classer les êtres humains en fonction "d'avantages" et "d'inconvénients"; était-ce vraiment nécessaire ? Je ne pense pas que ce procédé devienne subitement recevable s'il avantage pour une fois une population historiquement opprimée.

    En effet, je pense qu'il est bien mesquin, étant – probablement – un homme blanc, cisgenre et privilégié, jouissant d'un niveau de vie inégalé dans l'histoire humaine, ne souffrant d'aucune discrimination de genre ou de race, de prétendre ne pas avoir "la chance d'être noir" à cause "d'avantages génétiques" n'ayant plus beaucoup de sens au sein de nos sociétés modernes. Des sociétés où n'importe quel infirme est tout à fait capable de vivre longtemps et d'accomplir des choses hors-normes (Stephen Hawking étant le premier et sans doute le plus illustre exemple me venant à l'esprit).

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  12. Le fond de ce billet va t-il dans le sens de ce qu'il me semble me souvenir sur la variabilité des individus dans le monde : les différences génétiques entre africains sont plus importantes qu'entre un européen et un asiatique (par exemple) ?

    Private Post Scriptum : magie des blogs : Marc, Théo, Julien et Jean-Yves réunis dans les commentaires sur la variabilité génétique humaine :-)

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  13. Bonjour Jean-Yves (c'est bien toi ?),

    La magie tient beaucoup à la belle initiative de Marc, qui comme le miel attire à lui les abeilles affamées que nous sommes :)
    Ton petit mot privé me rappel les belles années à Lyon, la folk, les randonnées et les longs échanges d'idées, la fac ... ça me fait commencer la journée de très bonne humeur !! J'ai perdu 20 ans en une matinée !! :)

    Bonne journée à toi, à Julien, et à Marc ; avec toute mon amitié et mes meilleurs souvenirs.

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