lundi 1 juin 2015

Si votre directeur de labo vous regarde les seins, prenez ça dans la bonne humeur

[caption id="attachment_2734" align="aligncenter" width="128"]cliquez sur l'image pour savoir comment gagner des suiveurs sur internet cliquez sur l'image pour savoir comment gagner des suiveurs sur internet[/caption]

Le magazine Science est l'un des deux journaux de science ultra-prestigieux (l'autre étant Nature) qui combinent publication d'articles scientifiques "primaires" (rapportant de nouveaux résultats) et section "magazine". Science a notamment une rubrique "carrières".

Et dans cette rubrique, le 1er juin, une postdoctorante anonyme a écrit pour demander conseil car son chef de labo lui regarde dans la chemise à chaque rencontre :
I’ve just joined a new lab for my second postdoc. It’s a good lab. I’m happy with my project. I think it could really lead to some good results. My adviser is a good scientist, and he seems like a nice guy. Here’s the problem: Whenever we meet in his office, I catch him trying to look down my shirt. Not that this matters, but he’s married.

Or la réponse de Alice Huang de Science a été de prendre cela avec bonne humeur, sachant que la postdoc a besoin de son chef, et que de toute façons s'il ne la touche pas et ne fait pas de propositions indécentes explicites, ce n'est pas grave. Une réponse jugée incroyable à juste titre par de très nombreux scientifiques sur Twitter. Conséquence : l'article a disparu du site de Science quelques heures plus tard. Mais l'internet étant ce qu'il est, il est archivé ici.

Dans la suite, des scientifiques ont lancé sur Twitter le hashtag #CrapScienceCareersAdvice, mélange de parodie et d'anectodes (voir aussi ce billet).

Qu'en retenir ? Que le sexisme est encore bien présent, et plus grave que beaucoup considèrent encore que de supporter le sexisme devrait être une attitude normale. Je soupçonne que dans pas mal de labos la situation est maintenue par une culture de respect pour le chef. Que ce soit concernant les résultats scientifiques ou l'attitude personnelle, le respect ne devrait jamais l'emporter sur la nécessité de critiques justifiées.

Espérons que cette histoire permette de démarrer une discussion dans certains labos.

Mise à jour : Science a publié une note de l'éditeur regrettant la publication de la réponse sexiste. Evidemment, aucune mention dans cette note des réactions sur les réseaux sociaux (voir aussi billet sur les cellules souches).

#OGM pour l'agriculture bio, par réintroduction de gènes sauvages ?

[caption id="attachment_2727" align="aligncenter" width="260"]cliquez sur l'image, ça parle de campagne cliquez sur l'image, ça parle de campagne[/caption]

Via un article du New York Times, je vois un appel dans Trends in Plant Science (malheureusement d'accès fermé) de la part de scientifiques danois :

Andressen et al 2015 Feasibility of new breeding techniques for organic farming Trends Plant Sci in press

Dedans ils proposent le "rewilding", la réintroduction de gènes de variétés sauvages dans les variétés cultivées.

En effet, un des problèmes des variétés domestiques, que ce soit des animaux ou des plantes, c'est que la sélection sévère à laquelle les humains les ont soumis a conduit à une faible diversité génétique et des défaults génétiques. Ceci a deux composantes :

  1. Lorsqu'il y a sélection sur certains traits, ça diminue la taille de population effective pour les autres traits : si je ne prends que les personnes de 30 ans bonnes en maths et en français avec un goût pour la musique jazz et qui font bien la cuisine, j'aurais un choix plus restreint en ce qui concerne leurs compétences en foot que si je sélectionnais des compétences foot dans toute la population. Si je sélectionne les plantes qui produisent de très grosses graines dans des conditions agricoles (voir ici pour la distance de nos cultures aux plantes sauvages), alors je diminue la taille efficace de population pour les traits du type résiste bien aux aléas climatiques ou aux maladies.

  2. Lorsque la population est petite, la sélection naturelle est moins efficace. Si la population efficace pour un trait est petite, la sélection naturelle est moins efficace pour ce trait. Quand la sélection naturelle est moins efficace, les variants désavantageux sont moins éliminés, les avantageux moins favorisés. Conséquence, la population se retrouve avec de nombreux gènes où seul la version désavantageuse est gardée, ce qui n'est pas terrible admettons-le.


Bilan de ces deux phénomènes, les variétés domestiquées se trimballent un lourd fardeau de variants génétiques désavantageux. C'est frappant chez certains chiens de race, mais c'est vrai aussi pour les plantes cultivées.

D'où l'idée des danois : prendre les versions avantageuses qui dominent encore les variétés sauvages, et le ré-introduire dans les variétés cultivées. Ils voient cela comme un moyen d'augmenter la productivité tout en gardant les intrans (pesticides, engrais) faibles, donc de rendre le "bio" plus efficace tout en conservant ses bénéfices. Ils font à ce propos d'une certaine naïveté me semble-t-il :
The most efficient methods of rewilding are based on modern biotechnology techniques, which have yet to be embraced by the organic farming movement

"have yet to be embraced"... Le mouvement bio n'a pas encore décidé d'utiliser la biotechnologie. Mais bientôt donc...

Leur raisonnement se tient très bien sinon (pour être honnête, l'article inclut une importante discussion de la part sociologique de la question, mais pas très conclusive). Les plantes cultivées utilisées en bio ont été optimisées pour la culture non bio, avec intrants. Si on les croise par technique traditionnelle avec les sauvages, on va aussi réintroduire plein de gènes diminuant la productivité ou autres conséquences négatives, ça va prendre très longtemps, et ça va être très compliqué si on parle de traits multigéniques. Avec la biotechnologie, on peut trouver les gènes que l'on veut et les mettre précisément.

Le rewilding biotechnologique est-il compatible avec l'agriculture biologique ? Les auteurs considèrent plusieurs critères :

  • Santé : le rewilding par biotechnologie permettrait d'améliorer des traits de robustesse, donc moins de pesticides, et de nutrition, sans rien perdre ; donc oui, compatible bio.

  • Ecologie : cette approche peut et diminuer les intrants, et favoriser la biodiversité ; donc oui, compatible bio.

  • Justesse (fairness) : pas d'incompatibilité a priori, mais à considérer au cas par cas.

  • Principe de diligence (care) : le bio a une approche conservatrice mais pas totalement fermée au progrès apparemment, donc ça doit être bon. Les auteurs notent de manière intéressante que rejeter des technologies comme celle-ci n'est pas forcément la stratégie la moins risquée.


Finalement, les auteurs notent une différence dans la définition de "OGM" aux Etats-Unis et dans l'Union Européenne. En Europe, la définition est basée sur le processus de production. Donc si ces plantes sont produites par génie génétique, elles seront considérées comme OGM, et donc comme interdites en agriculture biologique sous les règles actuelles. Aux USA, la définition est basée sur le produit, donc si ces plantes auraient pu être produites par croisements non biotechnologiques, elles ne seraient pas OGM, et pourraient être autorisées en bio.

Pour compliquer encore les choses, ils proposent d'utiliser de nouvelles techniques de mutagenèse de précision qui ne sont pas encore bien couvertes par la législation OGM ; il n'est donc pas clair où la limite serait par rapport aux règles européennes.

On revient donc au point que "OGM ne veut rien dire", et qu'il faut juger au cas par cas. En tous la proposition me paraît très intéressante. Eventuellement la société va bien devoir avoir un débat rationnel sur les possibilités ouvertes par les progrés de la biologie me semble-t-il, et ceci en fait partie.

mercredi 27 mai 2015

Réflexions personnelles sur les blogs, la science, le journalisme, le sens de la vie, tout ça

[caption id="attachment_2690" align="aligncenter" width="208"]cliquez sur l'image (très drole si vous lisez l'anglais) cliquez sur l'image (très drole si vous lisez l'anglais)[/caption]

Ces derniers mois mon activité de blog a été assez irrégulière, et marquée par des essais nouveaux et des périodes d'arrêt. Voici un rapide retour sur ces derniers mois, et mes réflexions sur l'activité de blog de science en français.

En octobre, j'ai tenté avec des collègues un exercice de dialogues entre scientifiques sur le thème très sensible des OGM. J'ai trouvé l'exercice très intéressant, mais il n'a eu finalement qu'assez peu d'écho malgré les nombreux commentaires (bilan ici, avec liens vers les dialogues). Notamment, aucun écho dans d'autres médias, sauf des tweets et commentaires de Pascal Lapointe de l'Agence Science Presse (Canada), toujours très présent et très interactif sur les médias sociaux.

En novembre, je me suis étonné que la "sélection de la semaine" du blog Passeur de sciences de Piere Barthélémy au Monde ne couvre aucun des sujets ayant agité la semaine très riche en évènements dans la communauté scientifique, notamment francophone. Je dois avouer ne pas avoir trouvé la réponse très constructive, et d'autres blogueurs scientifiques ont partagé ma réaction sur Twitter.

En janvier, j'ai tenté l'expérience d'un AMA (ask me anything) sur Reddit, sur les OGM. Expérience très amusante et intéressante.

En février, j'ai démarré un nouveau blog sur le site du magazine suisse L'Hebdo. Le magazine m'a ouvert ce blog en avril 2014. Par rapport à la discussion début 2014 sur les blogs de science, notamment sur la politique du Monde, L'Hebdo m'a donné d'excellentes conditions : pas de nombre ni de fréquence de billets minimum ou maximum, thèmes et ton libres. Pendant longtemps j'ai cru pouvoir démarrer un blog sans arrêter l'autre, puis comme j'ai vu que j'y arrivais pas, j'ai décidé d'essayer de passer à 100% sur L'Hebdo quelques temps. Bilan ? J'aimerais penser que j'ai un lectorat différent, mais je n'ai pas accès aux statistiques, et j'ai très peu de commentaires. Ce qui est moyen motivant finalement. Je pense garder ce blog-là actif, mais épisodiquement, pour par exemple répondre dès que j'aurais le temps au Nième épisode de mon dialogue infructueux avec Martial des Verts vaudois.

De plus, entre temps j'ai eu plusieurs discussions où j'ai appris que de plus en plus de gens considéraient le cafe-sciences comme un site de référence ; j'ai aussi vu que d'anciens billets à moi étaient cités dans des discussions en ligne des mois ou des années plus tard. Bref, j'ai l'impression que l'activité de blog telle que je l'ai développée ici est utile, et elle est certainement amusante.

Donc conclusion d'une première réflexion, sur l'articulation entre journalisme et blog de scientifique.Je ne vais pas faire davantage d'efforts pour aller vers les médias, et ne pas me prendre la tête sur le point de vue des journalistes. En tant que scientifique, je blogue, c'est disponible et trouvable pour qui cherche.

L'autre réflexion qui m'a retardé parfois dans mon activité de blog, c'est les OGM. J'ai beaucoup blogué là-dessus, et beaucoup sur plein d'autres sujets. Mais j'ai eu parfois le sentiment d'être catalogué comme "blogueur pro-OGM", et ça m'a bêtement géné. Je ne suis même pas généticien des plantes. D'un autre coté, l'actualité à l'interface sciences et société concerne souvent les OGM. Alors je me suis parfois retenu de bloguer pour ne pas bloguer trop sur les OGM. A la réflexion, c'est dommage. Il manque je trouve de voix scientifiques dans cette discussion. La discussion Reddit, ou les réactions au billet kidiscience sur les OGM m'ont fait réaliser que je suis content d'avoir écrit les billets que j'ai écrit. Et que doit m'importer l'image que cela peut donner de moi ? Donc s'il y a une actualité OGM, je la traiterais, ou s'il y a quelque chose que j'ai envie de dire. Et je ne ferais pas attention à la fréquence du sujet.

Un dernier point que la discussion sur les OGM a mis en avant pour moi est le rôle de l'anonymat ou de son absence. Je ne pourrais pas écrire comme je le fais si on ne savais pas qui j'étais, si on pouvais soupçonner à tout moment quelque intention ou agenda caché (voir les "révélations" bizarres sur Mediapart – pas de lien parce qu'à l'heure où j'écris soit ça n'est plus en ligne soit je n'y ai plus accès). Et c'est vrai au-delà des OGM. Je suis clair sur mes compétences et limites, mes intérêts, mes biais, et j'écris et je réponds en mon nom propre. Ceci n'est pas un conseil ou une critique pour les autres blogueurs, qui ont d'autres intentions ou d'autres contraintes, mais pour moi d'utiliser mon vrai nom est une liberté.

Conclusion de tout ça : je reviens. :-)

mardi 26 mai 2015

Sans blogs, les erreurs dans les articles scientifiques restent masquées très longtemps

[caption id="attachment_2675" align="aligncenter" width="277"]error cliquez sur l'image[/caption]

Une petite suite à mon billet récent sur les critiques Twitter d'un article prestigieux. Aujourd'hui Lior Pachter (dont on a déjà parlé sur ce blog : les méthodes comptent, rififi chez les bioinformaticiens, écrire un mauvais article) a publié un nouveau billet. Dedans, il part d'un article publié récemment en preprint (version publique non encore publiée officiellement, voir ici), pour critiquer un article de 2004, de Kellis et al dans Nature (depuis Manolis Kellis est devenu un des poids lourds de la génomique). Dans Kellis et al 2004, les auteurs donnent une proportion de 95% de gènes dupliqués où seul l'un des deux évolue rapidement, et disent que c'est frappant ("striking") et que ça soutient une hypothèse classique d'évolution des gènes dupliqués.

Lior met au défi ses lecteurs de déterminer la probabilité d'observer ce résultat : est-ce réellement frappant, ou au contraire attendu même si l'hypothèse est fausse ?

Et ce qui me frappe, moi, c'est un commentaire où Lior publie un email qu'il vient de recevoir. Un collègue anonyme lui envoie la lettre qu'il avait écrite au journal Nature à l'époque, en 2004. Laquelle lettre détaille le calcul de la probabilié associée, et montre que loin d'être frappant, le résultat invalide même légèrement l'hypothèse classique. Lettre que Nature a refusé de publier. Donc que personne n'a vu entre 2004 et 2015.

Pourquoi est-ce que ça me frappe ? Parce que ça montre une fois de plus qu'en l'absence de la communication scientifique informelle par les blogs et Twitter, le système a été vérouillé par quelques-uns, qui n'ont pas permis à la discussion scientifique d'avancer comme elle le devrait. Cette discussion ouverte, à laquelle participe également la publication open access / libre accès, est essentielle. Nous vivons une révolution pacifique et très positive, et il faut en être conscient et la soutenir.

Mise à jour : grosse discussion générée sur Twitter, avec intervention de l'excellent Alan Drummond entre autres (cliquez sur le Tweet pour voir les réponses). Et vive les médias sociaux en science.

 

vendredi 22 mai 2015

Ciel ! On critique un article scientifique sur Twitter !

[caption id="attachment_2666" align="aligncenter" width="332"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Après une longue pause, ce blog redémarre. Je reviendrais sur mes réflexions sur les blogs et la communication scientifique prochainement, mais commençons par un billet sur un petit évènement qui agite mon landerneau, celui de la génomique et la bioinformatique de l'évolution. Et qui éclaire l'évolution de la publication et du débat scientifique à l'heure des réseaux sociaux.

Mes plus fidèles lecteurs se rappeleront du projet ENCODE (billet ENCODE, billets sur critiques d’ENCODE 1 et 2, billet Big Science). L'original concernait l'humain, il y a eu ensuite un ENCODE souris, et un modENCODE mouche drosophile et vers nématode. Tous ces projets mènent à de nombreux articles scientifiques, certains décrivant les données, d'autres les utilisant pour diverses études. Fin 2014, une analyse publiée en coordination avec ENCODE souris (Lin et al 2014 ; voir aussi Figure 2 dans Yue et al 2014) montrait un résultat surprenant :

[caption id="" align="aligncenter" width="532"] comparaison d'expression de gènes humain-souris, par analyse multivariée présentée bizarrement[/caption]

Si vous trouvez la figure ci-dessus difficile à comprendre, vous êtes pardonné. En bref, les auteurs ont pris la mesure du niveau d'expression des gènes (leur niveau d'activité en première approximation) dans différents tissus (de testicules à estomac) de souris et d'humain. Pour chaque tissu humain ou souris, on a environ 20'000 mesures, pour autant de gènes. On peut réduire cela aux 2 ou 3 dimensions qui expliquent le mieux la variation, ce qu'ils ont fait. D'habitude on représente cela par des graphes 2D, qui sont lisibles au moins, mais ici ce sont des graphes 3D où la troisième dimension est très difficile à comprendre. Mais ceci est un péché véniel.

Ce qui est frappant pour le spécialiste dans ces figures, c'est que les tissus de regroupent par espèce (souris ensemble, humain ensemble) plutôt que par type de tissu (estomacs ensemble, reins ensemble). Ce qui revient à dire que les gènes exprimés dans un estomac de souris sont davantage similaires à ceux exprimés dans un rein de souris que dans un estomac humain. Ce qui est très surprenant : on s'attends plutôt à l'inverse, et d'ailleurs cela a été publié de manière répétée (même par mon labo). Et comme le fait remarquer l'inénarable Dan Graur (voir ici à son propos), si c'est vrai ça veut dire que l'étude des gènes de souris ne sert à rien pour étudier l'humain, et que donc ENCODE souris est un gaspillage d'argent. Ce que les auteurs d'ENCODE souris ne relèvent curieusement pas.

Ce résultat a paru bizarre a beaucoup de monde, et une analyse rapide dans mon labo semblait indiquer qu'il était du à ce que les expériences de souris et d'humain ont été faites différemment, et donc ce que l'on verrait serait le biais expérimental plutôt que le signal biologique. Mais montrer publiquement qu'un collègue a tort, c'est du boulot (cf ici), qu'on n'avait pas envie de poursuivre dans ce cas-ci.

Heureusement, un collègue de Chicago, Yoav Gilad, a décidé de le faire, et il a lancé un Tweet tonitruant :

Bon tonitruant sur l'échelle des débats feutrés en science hein. L'important c'est qu'il a montré que les résultats publiés ne tenaient pas, mais qu'en enlevant les biais expérimentaux on retrouvait bien un regroupement par tissus. Il a ensuite mis son article sous forme non encore expertisée sur le site de F1000, qui permet de rendre publique toutes les versions d'un papier, avant pendant après expertise, ainsi que les expertises elles-mêmes, afin que tous puissent discuter librement :

A reanalysis of mouse ENCODE comparative gene expression data. Yoav Gilad, Orna Mizrahi-Man F1000

A noter que les commentaires sous cet article "brouillon" sont très constructifs, et comprennent deux réponses détaillées des auteurs d'origine du consortium ENCODE.

Le tweet d'origine a fait beaucoup réagir dans le microcosme des biologistes des génomes, et a donné lieu a un compte-rendu dans le magazine Nature, où notamment l'auteur sénior (le chef quoi) de l'article d'origine, Michael Snyder, a déclaré que Gilad avait "brisé les normes sociales de la science en postant initialement sa critique sur Twitter" :
Michael Snyder, a geneticist at Stanford University in California and co-author of the original paper, stands by his team’s study and its conclusions and says that Gilad broke the “social norms” of science by initially posting the critique on Twitter. Gilad says that he took to social media to highlight his work, which might otherwise have been overlooked.

Cette réaction de Snyder a provoqué pas mal de réactions sarcastiques sur Twitter et blogs. Le ton général était qu'une publication scientifique est, bin, publique, et doit être critiquée publiquement. Et que la norme sociale de la science, ça doit être de faire les meilleures analyses et d'accepter la critique. Certains collègues pensent toutefois que Twitter est trop brutal, une appréciation que je ne partage toutefois pas. Si on reçoit énormément d'argent des contribuables pour faire de grosses études, qu'on les publie à grande fanfare dans les journaux les plus réputés, on doit s'attendre à être jugé et critiqué à l'échelle de cet investissement et de ce retentissement. A vrai dire, certains collègues éminents (Ewan Birney, Lior Pachter) ont dit que si l'analyse de Gilad était confirmée, l'article de Snyder devrait être rétracté, ce qui est très brutal. Et je pense que l'analyse va être confirmée. Le statisticien renomé en génomique Rafael Izarry a publié un billet sur son blog où il affirme que la mise en place de l'expérience était tellement faussée du départ que les auteurs ne pouvaient simplement rien trouver, et que donc toute l'analyse est forcément invalide. En fait, dans la discussion beaucoup de personnes disent que soit on enlève et le biais expérimental et l'effet (potentiel) espèce-spécifique, soit on confond les deux, mais ils ne sont pas démélables en l'état (voir à ce propos un excellent billet de Lior Pachter qui référence un billet du cafe-sciences dans les commentaires).

On revient à un point déjà traité précédemment sur ce blog, à propos des gros projets de génomique et autre "big science". Les scientifiques très connus et très établis, qui obtiennent de très gros budgets et publient fréquemment dans les plus grandes revues, ne sont plus à l'abri des critiques. Avant, elles existaient, mais ils pouvaient les ignorer, et surtout compter que les personnes les finançant et les jugeant les ignoraient. Maintenant, c'est public et c'est très rapide, et ces scientifiques et ces revues prestigieuses doivent s'habituer à une discussion beaucoup plus animée et critique qu'avant. C'est pour le mieux pour la science et c'est ça qui compte.

Anecdote personnelle : maintenant quand j'expertise ou j'édite un article (voir les rôles dans ce billet), je réfléchis avant de soumettre mon avis : que penserais-je si cet article était publiquement critiqué ? Serait-je fier ou honteux de mon rôle dans la publication. Et peut-être que je suis un peu plus prudent qu'avant, et c'est bien.

jeudi 12 février 2015

Dons de mitochondrie et nouveau blog à @lhebdo

[caption id="attachment_2643" align="aligncenter" width="250"]cliquez, et amusez-vous bien cliquez, et amusez-vous bien[/caption]

En avril 2014, j'ai été contacté (entre autres) par le magazine suisse L'Hebdo (que vous connaissez peut-être au moins pour son expérience du Bondy Blog, maintenant hébergé par Libération), pour y faire un blog. Après hésitation, j'ai accepté. Par rapport à la discussion qui a eu lieu ici il y a un an sur les relations entre blogueurs de science et journalistes, je dois dire que l'approche de L'Hebdo est très ouverte et constructive : pas de nombre de billets minimal ou maximal, pas de ligne éditoriale imposée (bon faut rester dans la légalité hein), et pas de surveillance du style et de l'orthographe. Parfois des billets choisis peuvent être publiés dans la version papier.

Alors en avril dernier j'ai accepté, mais je n'ai pas trouvé le temps ou l'énergie d'écrire là-bas, avec l'élan de publication que j'avais déjà au cafe-sciences. Et puis j'ai repoussé parce que je cherchais un sujet grand public, mais pas les OGM pour changer, et pas le racisme pour pas faire exactement pareil que mon premier billet ici. J'ai finalement trouvé le thème, le temps et l'énergie, et j'ai publié mon premier billet à L'Hebdo :

Des dons de mitochondrie plutôt que des enfants à trois parents

Mon nouveau blog là-bas s'appelle Le sens du vivant, un clin d'oeil au nom du blog de Tom Roud Matières vivantes, et à un de mes films préférés, et je l'espère un nom plus clair que Tout se passe comme si.

Coup de bol, mon premier billet est sorti alors que les commentaires sur L'Hebdo sont plantés... En attendant, je suppose que vous pouvez commenter ici.

Et maintenant ? Je n'ai manifestement pas réussi à animer deux blogs en parallèle, donc je vais essayer de faire vivre celui-là quelques temps, et faire un bilan. Je m'attends à toucher un public différent, plus local mais moins intéressé à la science a priori. A suivre.

vendredi 21 novembre 2014

Je suis vieux : changements dans la perception du risque

[caption id="attachment_2604" align="aligncenter" width="215"]incroyable liste de citations sur le thème "c'était mieux avant" à lire en cliquant incroyable liste de citations sur le thème "c'était mieux avant" à lire en cliquant[/caption]

  • quand j'étais étudiant en licence (bachelor pour les suisses), si on osait suggérer à un collègue de ne pas fumer dans l'amphi pendant la pause entre cours, on se faisait vertement rabrouer.

  • on se serait fait tuer plutôt que de se ridiculiser avec un casque de vélo, surtout pour venir à la fac ; le genre de casque que je porte aujourd'hui et que portent la plupart des étudiants que je vois à vélo.

  • quand j'étais nettement plus jeune, il était très difficile pour un enfant d'obtenir une patisserie sans alcool dans une boulangerie-patisserie (mon expérience se limite au sud de la France) ; "il y en a juste un peu" disaient-il en me donnant des gateaux plein de je-ne-sais quelle liqueur (que je détestais et détectais immédiatement, beurk).

  • j'ai fait de longs voyages en avion avec une moitié de la cabine fumeurs, et un rideau pas vraiment efficace pour empêcher la fumée de traverser vers l'autre moitié.

  • et pendant mon adolescence les gens s'inquiétaient des conséquences dangereuses pour les jeunes des jeux de rôles papier-crayon-dé (pas d'ordinateur)...


Tout ceci pour dire que la perception du risque a bien changé, et souvent en mieux. Et que je suis vieux.

Editions précédentes d'un exercice similaire :

jeudi 20 novembre 2014

La pire note de mes études : 2/20 en physiologie végétale (si si) #myworstgrade

[caption id="attachment_2594" align="aligncenter" width="474"]cliquez sur l'image : pédagogie ! cliquez sur l'image : pédagogie ![/caption]

Y a un hashtage #myworstgrade qui circule sur Twitter, où des personnes ayant réussi en science disent quelle a été leur pire note.

Je dois maintenant l'avouer publiquement : j'ai une très mauvaise mémoire. Et bêtement, j'ai choisi biologie, avec plein de par cœur les premières années. Donc mes plus mauvaises notes étaient largement déconnectées de mon intérêt pour les matières, et largement liées au type d'examen : plus il fallait apprendre par cœur, plus je me plantais.

D'où un 2/20 lamentable en physiologie végétale en 2ème année de biologie, matière où contrairement à ce que le nom implique nous ne faisions qu'apprendre par cœur (ou échouer à apprendre par cœur) des séries de réactions chimiques se produisant dans les plantes.

Je n'en ai pas gardé rancune à la physiologie ni aux plantes, mais je ne pose jamais de questions de par cœur en examen...

Et le point important : j'ai survécu, j'ai continué en biologie, tada me voici. Curieusement les très bonnes notes en informatique et en anglais, qui semblaient anecdotiques quand je les ai eu en 3ème année, sont probablement les compétences m'ayant le plus servi. Comme quoi.

Donc : si avez une mauvaise note, ne vous jetez pas du haut d'un pont. Rappelez-vous, la science c'est cool.

jeudi 13 novembre 2014

Que reproche-t-on à la conseillère scientifique à la commission européenne ?

[caption id="attachment_2581" align="aligncenter" width="150"]cliquez sur l'image cliquez sur l'image[/caption]

Alors, ça y est, le poste de conseiller scientifique à la commission européenne a été supprimé. A l'heure où j'écris, heureusement qu'il y a les les québecois de La Presse pour en parler en francophonie, parce que Pierre Barthélémy et Sylvestre Huet n'ont même pas jugé bon de retweeter une lien vers une info (l'article de Jean-François Cliche à La Presse montre aussi comment on peut intégrer Twitter et les blogs au journalisme scientifique, hum hum) [mises à jour : échange avec Pierre Barthélémy dans les commentaires de son blog ; échange Twitter s'en étant suivi ; Sylvestre Huet a retweeté et engagé le représentant de Libération à Brusselles, qui a dit qu'il suivait ; ça bouge]. Faut dire que la commission a joué fin en faisant ça au moment où tout le monde regardait l'arrivée de Philae sur la comète. Ce qui en soi tend à indiquer qu'ils ne sont pas particulièrement fiers de leur action.

J'ai déjà pas mal parlé de la campagne de différents groupes anti-OGM pour demander que ce poste soit supprimé (billet 1, billet 2). Demandons-nous ce que l'on reproche à Anne Glover (la conseillère sortante) ?

Officiellement, rien, on a supprimé le poste. Si vraiment on reprochait quelque chose à Anne Glover, on la remplacerait. Faut être clair, on supprime le poste de conseiller scientifique parce qu'on ne veut pas de conseil scientifique.

Dans la lettre d'août des organisations anti-OGM, sa prise de position sur les OGM était explicitement visée. En août, tout ce que j'avais trouvé de cité par ces mêmes organisations était qu'en septembre 2013 Anne Glover a cité avec approbation les conclusions d'un rapport établi par l'association regroupant toutes les académies des sciences européennes, lesquelles conclusions étaient que toute la litérature scientifique montre que les OGM ne sont pas particuliérement dangereux. J'ai mis du gras, parce qu'on trouve répété à l'envi l'affirmation selon laquelle le problème serait qu'Anne Glover aurait décidé toute seule que les OGM c'est cool. Non, cette affirmation est fausse.

Pour des avis divers sur les OGM, voir les dialogues que j'ai eu avec des collègues biologistes d'horizons divers, et les commentaires qu'ils ont généré (commencer ici et suivre les liens) ; aucun collègue n'affirme de risque particulier aux OGM, y compris ceux qui ne sont pas à l'aise avec la biotechnologie.

En lisant un article de la BBC sur la suppression du poste, je trouve qu'un an mois après ce rapport à-peu-près, Anne Glover a déclaré que s'opposer aux OGM en raison de risques supposés était "une forme de folie". Ah c'est clair que ce n'était pas très politique comme déclaration, et elle se serait fait remonter les bretelles je n'aurais pas été surpris. On aurait même clarifié les règles de prise de parole de la conseillère, voire changé de conseillère, ça se serait compris. Mais cette prise de parole intempestive, ce qu'elle montre c'est que comme pas mal de scientifiques (mea culpa) elle trouve normal de dire les choses très franchement, ce que ne ferait pas un politicien. Elle ne montre pas qu'elle ait pris une décision pro-OGM toute seule, puisqu'on rappelle qu'il y a eu ce rapport des académies auparavant.

L'autre chose qu'on va beaucoup lui reprocher, notamment dans les colonnes du Monde grâce à Stéphane Foucart, c'est d'avoir retardé la prise de décision concernant les perturbateurs endocriniens. Alors d'abord il faut être clair : les perturbateurs endocriniens existent, ils sont graves, et je suis bien d'accord qu'il faut agir. Ensuite, d'après ce que je comprends, ce qu'Anne Glover a fait a été de prendre en compte plus qu'elle ne l'aurait mérité une lettre de spécialistes d'endocrinologie qui se sont révélés être en conflit d'intérêts. Stratégie typique de semer le doute, faire croire qu'il y a débat où il n'y en a pas, comme sur le climat, le tabac, l'aminate ou les OGM (sur les OGM, les semeurs de doute sont les anti, pour être clair - bien que Stéphane Foucart ait l'air de dire le contraire dans son livre que je n'ai pas lu [mise à jour : Stéphane Foucart m'a contacté, et m'a donné un extrait de son livre qui indique qu'il est d'accord que l'étude de Séralini et al est "semeuse de doute"]). Elle a probablement eu tort de prendre cette lettre aussi au sérieux, même si une conseillère scientifique reste dans son rôle en attirant l'attention sur un débat scientifique, même s'il n'est qu'apparent. Après tout, ce qui caractérise vraiment les pseudo-sciences du doute c'est de se répéter longtemps après qu'on ait montré qu'ils avaient tort. Mais certains cas de doute sont légitimes, et ils sont plus difficiles à distinguer les uns des autres quand ils sont neufs. D'après je comprends, il y a eu un débat organisé par Glover sur les perturbateurs endocriniens, dont les semeurs de doute sont sortis perdants. Si ensuite la commission européenne n'a rien fait, permettez moi de douter que ce soit grâce au pouvoir énorme du conseiller scientifique. Mais à nouveau, si c'est le problème, d'une part pourquoi ne pas changer de conseiller, et d'autre part pourquoi ceci n'est-il jamais mentionné dans la demande de suppression du poste qui a été faite en août (comme remarqué dans les commentaires de l'article de Foucart en septembre d'ailleurs).

Parenthèse : je suis choqué par les gens qui prétendent avoir débusqué un risque majeur pour la santé humaine, et quand on leur demande des détails, il faut regarder un documentaire "excellent" (aucun documentaire télévisé ne vaut un document écrit en ce qui me concerne ; où sont les références, les notes, les nuances ?) qui n'est pas visible hors de France, ou il faut lire des articles réservés abonnés. Visiblement, la santé humaine doit passer avant l'argent des industries mais passe après l'argent des journalistes. (Voir discussions sur la publication ouverte.) Tout ça pour dire que j'ai pas vu ce documentaire, pas lu cet article, et si vous avez des liens sérieux sur le rôle abominable d'Anne Glover, je suis preneur dans les commentaires.

En conclusion, je ne vois rien qui justifie de supprimer le poste de conseiller scientifique, sauf que certains veulent faire du lobbying sans interférence compétente, sans quelqu'un qui respecte les académies des sciences et la litérature scientifique davantage que les sondages. Si les problèmes dont on nous parle étaient la vraie cause, on aurait juste changé de personne et éclairci quelques règles.

Je maintiens ce que j'ai écrit en août : bas les masques, ceux qui ont réclamé ceci et ceux qui l'applaudissent sont anti-science.

mardi 11 novembre 2014

Le scandale des abonnements de revues scientifiques éclate au grand jour

[caption id="attachment_2566" align="aligncenter" width="150"]cliquez pour une explication video en anglais de l'open access cliquez pour une explication video en anglais de l'open access[/caption]

Comme disent les anglophones, the shit hit the fan : Rue89 révèle le montant exhorbitant et les conditions incroyables qu'Elsevier extorque au gouvernement français pour les abonnements.

Alors on rappelle que la publication libre accès (open access) existe depuis des années, marche, est socialement juste, et économiquement efficace. Et on rappelle, comme expliqué dans Rue89, que le système actuel est tout le contraire : un monopole, un marché opaque, la connaissance interdite à pratiquement tous ceux qui en ont besoin, les résultats de la recherche sous-utilisés parce que non utilisables.

Je n'ai pas le temps d'écrire un billet long maintenant, mais d'une part j'ai déjà écrit plusieurs billets sur le sujet :

Et d'autre part, ceci tombe justement après que j'ai lu une super interview de Anurag Acharya, co-créateur du super moteur de recherches Google Scholar (exemples d'utilisation pour la science citoyenne dans ce billet et celui-ci). Un point m'a frappé dans cette interview. Un reproche fréquemment fait à Google Scholar est l'absence d'accès programmatique (API), qui permettrait à des personnes hors Google d'utiliser les informations de manière systématique. Or ce que dit Acharya c'est que cette limitation est due aux contrats que Google a du signer avec les éditeurs scientifiques, comprendre Elsevier et compères : pour pouvoir lire les articles d'accès fermé automatiquement, Google a du s'engager à ne pas permettre à d'autres l'accès à cette information. Et voilà ! Le travail de centaines de milliers de chercheurs payés par les contribuables de tous les pays n'est pas étudiable parce qu'on a donné les clés à Elsevier etc. Si c'était tout publié open access, il n'y aurait aucun problème (j'ai d'ailleurs une collaboration où on fait exactement cela, voir ScienceWise).

J'ai tweetté cela, et même si ce n'est pas les dernières nouvelles de Justin Bieber, ça a été suffisamment retweeté pour montrer que j'avais touché une corde sensible :

La question est évidemment de savoir quelle sera la prochaine étape. Il faut aller vers une obligation de publier en open access, comme l'impose déjà le Welcome Trust, et à mon avis pour cela prendre sur les budgets des bibliothèques, en coupant des abonnements. Je suis un gentil garçon, mais parfois il me prends des envies de révolution...