lundi 20 juin 2011

Je ne suis pas une souris

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Les souris sont les modèles de laboratoire les plus utilisés en génétique et biologie moléculaire (les rats, c'est plutôt la physiologie et le comportement). Quand on veut comprendre la fonction d'un gène chez l'être humain, on l'étudie en priorité chez la souris, y compris pour des applications médicales.

Dans la dernière phrase, que signifie le l apostrophe de "on l'étudie" ? On étudie quoi ? Bin le même gène chez la souris. Il s'avère d'abord que ça n'est pas toujours si évident de définir quel est "le même" gène. Il y a un problème conceptuel et un problème pratique. Comme je suis un savant dans la lune, je commence par le problème conceptuel.

Le concept d'homologie est très important en biologie évolutive. Il y a pas mal de discussions concernant ce concept, mais pour le moment on peut utiliser le concept dit d'homologie historique, à savoir que deux structures biologiques sont homologues si elles dérivent d'une même structure dans l'ancêtre commun. Par exemple l'aile de chauve-souris, le bras humain, et la nageoire de baleine sont homologues, parce qu'ils dérivent tous du membre antérieur de l'ancêtre des mammifères. Ergo, deux gènes sont homologues s'ils dérivent d'un même gène dans l'ancêtre commun.

Dans le cas le plus simple, il y a un gène chez l'humain, un gène chez la souris, et ils dérivent tous deux du gène de l'ancêtre des humains et des souris. On les appelle des orthologues 1-1. Une supposition relativement générale est que dans ce cas, les gènes ont conservé la même fonction. Par exemple l'orthologue 1-1 de l'hémoglobine alpha de souris est l'hémoglobine alpha humaine, et les deux font la même chose, à savoir former un complexe avec l'hémoglobine bêta pour transporter l'oxygène dans le sang.

Par contre l'hémoglobine alpha et l'hémoglobine bêta sont des paralogues : ce sont des homologues qui proviennent de la duplication dans une espèce ancestrale d'un gène ancestral. Maintenant tous les descendants de cette espèce ancestrale ont les deux gènes, alpha et bêta. Et ces deux gènes ont des fonctions légèrement différentes.

(Au fait, le problème pratique c'est de détecter les homologues, et de les classer en orthologues et paralogues. Je ne traiterais pas ce problème aujourd'hui.)

Jusqu'ici, tout va bien. Récemment (2008-2009), nous avons remarqué que l'idée que les orthologues ont la même fonction et les paralogues des fonctions différentes n'avait jamais été vraiment testée. Du coup nous poursuivons un programme de recherche pour tester ce qui doit être une hypothèse, et non accepté a priori.

Le plus récemment, nous avons décidé d'examiner la littérature scientifique, afin de chercher quelle évidence il y a spécifiquement pour des différences de fonction entre orthologues humain - souris. Nous avons décider d'examiner cela parce que justement la souris est l'animal modèle le plus étudié pour comprendre l'humain, et que ces études se justifient en grande partie par l'hypothèse (jamais formulée en tant que telle) que les orthologues ont la même fonction. Notre revue de la littérature est disponible gratuitement (Open Access - ça veut dire que nous avons payé pour que vous ne payez pas) en anglais ici.

Nous avons d'une part trouvé quelques exemples de gènes pour lesquels il y a clairement une différence de fonction, médicalement pertinente, entre humain et souris. Il y a en peu, ce qui peut être parce que la fonction est en général la même, ou parce que peu de gens prennent la peine d'étudier la fonction en détail dans les deux espèces. Ce qui favorise la deuxième interprétation, c'est que l'analyse bioinformatique de larges jeux de données génomiques d'humain et de souris montre que pour 10% à 20% des gènes au mois, il y a des différences significatives : les gènes sont utilisés dans des organes différents, ou des versions différentes des protéines sont produites à partir des gènes (transcrits alternatifs), ou il existe des nombres de gènes orthologues différents, ou les mutations des gènes ont des effets différents.

Le nombre de 10 à 20% concerne chaque phénomène. Si tous affectent des gènes différents, alors presque tous les orthologues divergent entre humain et souris de manière importante. Si c'est toujours les mêmes, alors seulement environ 15%. Ce qui reste beaucoup, parce que pour faire n'importe quoi d'important dans votre corps, beaucoup de gènes doivent jouer. Donc en modifier 15%, c'est affecter presque chaque fonction potentiellement.

Donc il semble bien qu'il existe des différences significatives humain - souris au niveau des gènes. Ce qui ne surprendra pas ceux qui pensent que nous ne sommes pas des souris, mais qui doit nous rendre quelque peu prudents en recherche biomédicale.

Mot de la fin : ça ne veut pas dire que la recherche sur les souris, ou d'autres animaux modèles, soit inutile. Les différences dont nous parlons ici restent de détail, par rapport à l'immense apport d'information que nous avons accumulé chez la souris et d'autres. De même que la différence hémoglobine alpha - hémoglobine bêta reste de détail, par rapport à la différence entre une hémoglobine et une hormone insuline. Ergo, la biologie c'est compliqué, fallait faire plombier.

1 commentaire:

  1. drôle et clair, tue mes pâtes.

    et mon cher lunaire, je ne résiste pas à la citation... "les sélénites, les sélénites"
    http://fr.wikipedia.org/wiki/De_cape_et_de_crocs

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