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Sur le blog "Evolving Thoughts" de John Wilkins, philosophe de la biologie au chômage (en Australie, pas au Groenland), il y a une intéressante discussion [lien corrigé] de ce concept et de ses conséquences pour l'étude de la biologie.
Son argument tel que je le comprends est le suivant.
D'une part, on a un cadre philosophique pour comprendre le monde, aussi appelé physicalisme ou matérialisme philosophique, qui fait l'hypothèse que, jusque preuve du contraire, les propriétés de tout objet du monde peuvent être décrits comme résultant de ses composants, de leurs positions, mouvements, et interactions. Le mot "interactions" est important. C'est un cliché de dire qu'une pile de briques n'est pas une maison. Mais la description détaillée des briques, de leurs positions, et de leurs interactions, oui ça peut être une maison (bon d'habitude il faut aussi du mortier, du bois, etc – alors disons des pierres et une cabanne). Le point de vue opposé suppose qu'il existe de réelles propriétés émergentes dans un système complexe, qui ne peuvent en aucun cas être comprises par une compréhension, aussi complète soit-elle, des parties. A part le problème de créer des catégories supplémentaires a priori inutiles, il y a le fait qu'avec le progrès de notre compréhension du monde, cette approche se retrouve régulièrement battue en brèche. L'exemple le plus clair est le vitalisme. Pendant longtemps il y a eu débat entre les biologistes qui pensaient que le vivant était réductible à la physique et à la chimie, et ceux qui pensaient qu'il existait un élan vital caractéristique du vivant. En discutant avec des collègues moins jeunes (hum), j'ai appris que de nombreux biologistes partageaient encore de telles vues dans les années 1950. La biologie moléculaire a sonné le triomphe du réductionnisme en biologie, d'une certaine manière.
Ce qui nous conduit à l'autre aspect du réductionnisme, qui est en tant qu'approche méthodologique. La biologie moléculaire est exemplaire : pour comprendre le vivant, on le découpe en petits morceaux, et on comprend chacun en isolation. Quand ça sera fait, on comprendra le tout.
Sauf que ça ne marche pas.
Ce qui nous conduit à son tour à la suite de l'argument de John Wilkins : le réductionnisme ne marche pas en pratique comme seule façon de faire de la science, parce que nous ne sommes pas capables de connaître et comprendre tous les éléments composant un système complexe. On pourrait peut-être décrire l'élection de Nicolas Sarkozy en termes d'atomes, en principe, mais on ne peut ni obtenir ces données, ni les stocker, ni les traiter pour les comprendre. La façon la plus efficace de comprendre l'élection de Sarko, c'est en traitant les atomes au niveau agrégat à forme humaine, avec motivation et comportements humains. Ensuite il y a les cas, comme les gaz parfaits, où une analyse statistique des composant permet de prédire pas mal du tout le comportement du tout, et les cas où pour des raisons de non linéarité ou autres, nous ne sommes pas capables de faire cela.
Donc les différentes sciences sont différents niveaux qui nous sont nécessaires pour comprendre le monde, à cause de nos limitations mentales. Je ne serais pas surpris qu'une telle limitation soit inévitable à tout organisme ou machine pouvant réfléchir et calculer, vu la taille et la complexité de l'univers.
Une conséquence à mon sens rigolote, c'est que certaines questions de délimitation de domaines perdent de leur importance. Si on peut dire que le vivant n'est pas une propriété essentielle de certains objets, mais un niveau de complexité que nous ne savons pas analyser hors du cadre de la biologie, alors les sempiternelles questions pour savoir ce qui est vivant et ce qui ne l'est pas relèvent de la sodomie de diptères. Les virus, même s'ils dépendent de cellules vivantes pour se reproduire, ne peuvent pas être comprises sans référence à des concepts biologiques tels que parasitisme, compétition, mutation, etc., alors que le feu ou un virus informatique, même s'il peuvent se reproduire d'une certaine manière, peuvent être compris complètement avec des concepts et des outils de chimiste ou d'informaticien.
Curieusement, il semble que certains chercheurs en biologie des systèmes [Wikipedia minable en français, bien mieux en anglais] soient anti-réductionnistes philosophiques, alors qu'il me semble que la biologie des systèmes, c'est bien décrire les interactions des parties déjà décrites par la biologie moléculaire, donc que c'est bien cohérent avec un réductionnisme non naïf.
(En regardant Wikipedia en anglais, je vois que cette discussion n'a rien d'original - mais j'aime bien faire profiter de mon ignorance. Par contre l'article dans Wikipedia en français est un bel exemple de jargon philosophique incompréhensible.)
"La biologie moléculaire a sonné le triomphe du réductionnisme en biologie, d'une certaine manière."
RépondreSupprimerCommentez et développez.
C'est pour ça qu'un journal apparemment de physique s'intéresse à l'économie ? :-)
RépondreSupprimerhttp://www.physorg.com/news/2011-08-powerful-corporations-world.html
Les physiciens semblent s'intéresser à tout ce qui peut se modéliser avec leurs outils. Il font d'ailleurs d'excellents bioinformaticiens et biologistes des systèmes.
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