vendredi 4 novembre 2011

A qui est ce génome dans la vitrine ?

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Un papier récent rapporte le premier génome d'un aborigène d'Australie. Les résultats sont intéressants, et indiquent que les aborigènes sont partis d'Afrique il y a environ 62'000 à 75'000 années, sont donc bien le groupe humain qui est depuis le plus longtemps hors d'Afrique, et aussi qu'ils se sont mélangés  aux denisoviens en chemin.

Mais ça n'est pas de cela que je veux parler aujourd'hui.

L'ADN a été séquencé à partir d'un échantillon de cheveu préservé dans un musée, collecté sur un aborigène dans les années 1920. L’université de Copenhague, qui coordonne le projet, a considéré qu'il s'agit d'un échantillon archéologique et non biologique, et donc non soumis à autorisation du comité d’éthique. Mais un collègue australien, ayant vent du projet, a signalé aux danois que les aborigènes sont très sensibles à l'exploitation de leur patrimoine génétique, et qu'il fallait faire attention. Les chercheurs danois ont donc identifie la région d’où venait probablement le donateur, et ont demandé et obtenu l'autorisation du comité tribal représentant les aborigènes de la région. Ils ont déclaré que si le comité tribal avait dit non, ils auraient arrêté la publication du génome. Certains australiens trouvent qu'ils ne sont pas allés assez loin, dans la mesure où l'information dans ce génome engage tous les aborigènes. Histoire complète en anglais et probablement d’accès payant, sur le site de Nature.

Ceci a donne lieu à un débat anime sur des blogs de scientifiques :

Razib Khan (Discover magazine) est outragé que les auteurs du papier aient demandé au conseil tribal. Et d'une, il ne voit aucune légitimité au concept de tribu, et considère que seuls les individus existent. Et de deux, il ne pense pas qu'il faille en général demander l'autorisation de qui que ce soit avant de rendre public un génome, sauf de l'individu concerne (s'il est vivant). Dans un cas extrême, il pense que c'est OK pour un individu d'une paire de jumeaux de rendre public son génome sans demander l'autorisation à l'autre jumeau, qui partage exactement le même génome (on suppose que ce sont de vrais jumeaux), à quelques erreurs de copie près.

Il note deux points à ce propos. Un, qu'avec le progrès des technologies, de toutes façons tout ce qui peut être séquencé le sera. Il suffit d'un donneur, un échantillon, ou même un ensemble de blancs avec une partie de leur généalogie aborigène. Deux, qu'avec l’état actuel de notre connaissance du génome, une séquence ne dit somme toute pas grand chose sur un individu. Je trouve ce point très dangereux, parce qu'une fois qu'une séquence est publique, elle le reste, tandis que notre pouvoir prédictif base sur ce génome augmente. Si vous rendez votre génome public aujourd'hui, on ne peut pas dire grand chose sur vous. Mais dans 2 ans ou 5 ans ou 10 ans, on pourra peut-être (probablement) en dire beaucoup plus.

Rasmus Nielsen (célèbre biologiste de l’évolution et co-auteur du papier original) défend l'approche prise en considérant d'une part qu'il y a un biais culturel, Razib ayant un point de vue individualiste typiquement américain (il ne dit pas quel est le point de vue alternatif ; communautaire européen ?). Il pense fortement que dans la mesure où il y a une longue histoire négative des interactions entre scientifiques européens et peuples non européens objets d’étude (vous avez vu, j'ai réussi à éviter d’écrire "indigènes" !), il faut faire particulièrement attention. Et dans la mesure où dans ce cas particulier l’individu ni ses descendants ne pouvaient être identifies, le conseil tribal était la meilleure autorité avec laquelle discuter. Rasmus est d'accord avec Razib sur le fait que la séquence serait éventuellement disponible, mais ne voit pas cela comme une raison de ne pas essayer de faire au mieux aujourd'hui. Je suis totalement d'accord. D'autant que reconstruire la confiance entre scientifiques et non scientifiques me parait un objectif majeur.

Cela laisse ouverte la question : si un aborigène individuel avait donne son ADN et son consentement, le conseil tribal aurait-il été consulté ? L'information obtenue aurait été sensiblement la même. Question proche de celle posée par les chercheurs et militants australiens, qui trouvent qu'une consultation plus large des aborigènes aurait du être menée.

De manière intéressante, Razib reconnait le problème de déshumanisation passée, et fait remarquer que lorsque l'on a découvert que l'ADN des européens montre un mélange passé avec les néandertaliens, cela n'a pas posé de problèmes, car il n'y a pas d'histoire récente de déshumanisation des européens. Mais pour lui c'est un argument pour traiter les aborigènes de la même manière que les européens. En quelque sorte, il a une vision a-historique des individus, ce qui est cohérent quelque part avec sa vision a-communautaire (ça me rappelle une blague suisse : dans l’appellation Suisse alémanique, le "a" est privatif).

Larry Moran sur Sandwalk (prof de biochimie cité dans le billet sur l'oignon) rebondit sur l'exemple des jumeaux, fortement en desaccord. Il pense qu'il faut demander à toute sa famille proche avant de rendre public son génome. Vos frères, soeurs, parents et enfants ont 50% de chances de partager une mutation que vous portez en simple copie (1 chromosome sur 2), et sont surs de porter au moins en simple copie une mutation que vous portez en double copie (les 2 chromosomes, on dit aussi homozygote). Razib a répondu en mettant cela dans un cadre très légaliste : il pense que l'approche de Larry et Rasmus implique de légiférer, et cela, en défenseur acharné des droits individuels, il est contre. Mais il me semble justifié de légiférer dès lors que l'exercice de la liberté des uns empiète sur la liberté des autres. Si je publie mon génome, cela implique effectivement des conséquences potentielles graves pour ma famille proche, et leur avis devrait être pris (certains de mes lecteurs seront rassurés de lire cela). Si je suis trop asocial pour comprendre cela, la communauté, via le législateur, me semble justifiée à intervenir.

La où je suis moins positif, c'est sur le rôle du conseil tribal. Je suis d'accord avec Rasmus et les autres auteurs que dans ce cas-ci c’était une bonne approche. Mais je suis d'accord avec Razib et d'autres qu'il faut se méfier de donner trop de pouvoir à de telles structures. Si un savoyard publie son génome, faut-il demander au conseil général de Savoie ? Qu'en pensent la Haute-Savoie et le Val d'Aoste ? Exemple rigolo, mais s'il s'agit d'un basque les enjeux politiques et culturels deviennent réels. A discuter pour la prochaine fois.

Tapé sur un clavier américain, il doit manquer des accents.

Mise à jour : je recommande l'excellent commentaire de Skrol.

6 commentaires:

  1. "Mais dans 2 ans ou 5 ans ou 10 ans, on pourra peut-être (probablement) en dire beaucoup plus."
    Comme quoi?
    Le génome restera un catalogue de variations autour d'un meme thème, tel qu'obtenu par hasard au moment de la fécondation. Tout le reste de ce qui fait un individu n'est pas représenté dans le génome, et ce n'est pas une question de technologie ou d'état de l'Art.
    Dans 5 ou 10 ans, le catalogue de mutations sera etoffé et leurs implications dans telles ou telles pathologies seront affinées, mais la relecture des génomes obtenus aujourd'hui ne permettra que de savoir quelles mutations sont présentes et aujourd'hui inconnues.

    Il se passe, notamment au cours du dévelopment, de nombreux évenements qui ne peuvent sans doute pas etre entierement prédis par le génome. De meme pour l'architecture chromatienne, variable d'une cellule a l'autre et au cours du temps et donc difficile a charactériser de façon complète...

    A part ça, article interessant et problème réel et qui mérite débat. Je vais suivre vos liens!

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  2. Je ne suis pas sur de comprendre vos remarques. Voulez-vous dire que le génome ne contient pas l'information génétique ? Ou que l'information génétique est d'importance négligeable ?

    Il est vrai qu'il y a des variations dans l'état de la chromatine, et qu'il n'est pas encore clair à quel point cet état est lui-même codé dans le génome. Mais il est également clair que l'information portée par la séquence d'ADN contient une très grande quantité d'information essentielle, y compris pour comprendre les variations entre individus. Y compris les variations dans les réactions à l'environnement.

    Par contre il n'est pas correct que le génome soit juste un catalogue de mutations. C'est toute la séquence du génome dont on parle, y compris les parties invariantes, et les parties dont on ne sait pas encore qu'elles sont variables. Y compris les parties fonctionnelles, les parties non fonctionnelles, et les parties fonctionnelles dont on ignore encore la fonction.

    En ce qui concerne la recherche future, il y a beaucoup de recherche sur des sujets tels que la relation génome - environnement, génome - épigénome, ou le contrôle génétique de traits complexes qui ne sont pas déterminés par une ou deux mutations.
    Le point important c'est que le jour où une équipe a trouvé le moyen d'interpréter une fonction complexe du génome, même si la méthode est mathématiquement ou informatiquement complexe, elle sera rapidement disponible à tous, et il sera aisé de l'appliquer à tous les génomes précédemment séquencés. C'est là qu'est pour moi la grande inconnue, donc le risque majeur.

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  3. "Voulez-vous dire que le génome ne contient pas l'information génétique ?"

    Non, ca serait étrange...

    "Ou que l'information génétique est d'importance négligeable ?"

    en partie, oui...
    Ce que je voulais dire, c'est que la connaissance du génome n'informe que très imparfaitement sur ce qu'est un individu.
    Vous dites " l’état actuel de notre connaissance du génome, une séquence ne dit somme toute pas grand chose sur un individu", mais que "notre pouvoir prédictif base sur ce génome augmente" et que dans 5 ou 10 ans, la relecture de ce génome permettra d'en dire beaucoup plus. Je maintiens que nous ne dirons pas grand chose sur l'individu en tant que tel. On comprendra beaucoup mieux comment fonctionnent ces cellules, on pourra prédire l'incidence de certaines maladies et suivre des traitements appropriés et adapté au profil génétique, mais tout cela me semble assez différent d'implications éthiques sur la connaissance que l'on pourrait avoir d'un individu à son insu.

    Pour les mutations, oui, je ne parlais pas que des mutations codantes, mais de l'ensemble des variations par rapport a la séquence de référence (SNP, indel, copy number). Heureusement pour nous (pour moi, en tout cas), il reste beaucoup de faire pour comprendre tout ça, mais ne soyons pas trop présomptueux sur la nature de ce que l'on va apprendre...


    notre pouvoir prédictif base sur ce génome augmente

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  4. Vous dites donc que "la connaissance du génome n'informe que très imparfaitement sur ce qu'est un individu."

    Une question importante là-dedans, c'est de savoir à quel point le génome détermine l'individu. Evidemment, il y a une interaction gènes-environnement, mais si l'on connaît la part génétique a votre insu, cela peut déjà être important. Cela peut inclure des risques de maladies, mais pas que cela. Il est probable que si la schizophrénie ou l'autisme ont des parts génétiques, alors des comportements non patholologiques qui se trouvent dans le même spectre ont aussi une part génétique. De plus, pour beaucoup d'entre nous les conditions environnementales sont relativement stables et prédictibles (pas de famine, pas d'épidémie, pas trop froid en hiver...), donc la part génétique de la variance peut devenir importante.

    Un point qui me paraît important c'est qu'une information statistique peut être suffisante pour avoir des implications éthiques. Si grâce au génome de votre frère/soeur/père/mère je peux dire que vous avez 50% de chances d'avoir un génotype qui vous donne une prédispostion 3x fois supérieure à la moyenne d'avoir un trait défavorable à un emploi, une assurance, ou un logement, pourquoi ne pas préférer l'autre candidat ? Même si vous n'avez pas le trait, je ne prends pas de risques. Et voilà.

    Et il y a beaucoup de recherche en cours concernant la compréhension des génomes, la modélisation génotype-phénotype pour des traits complexes, etc. Donc le risque existe.

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  5. La loi et la morale varie d’un endroit à l’autre.

    Aujourd’hui, ici, si je souhaite publier le livre des secrets que ma famille cache depuis des générations et des générations, j'en ai le droit. Si toutefois mon livre n'est pas diffamant. En restant factuel et pouvant prouver mes dire, je ne suis pas diffamant.

    Selon moi, il en va de même pour une personne qui accepte "publier" son génome. Ce n'est pas une question d'individualisme, c'est un droit de parler. C'est le droit de dire "voici toute l'information sur la source de mon corps, quoi que vous puissiez en tirer comme info sur moi et ma lignée".

    D’autre part, les chercheurs danois n'avaient pas plus de raison d’écouter Razib Khan, Rasmus Nielsen, ou Larry Moran pour savoir s'il fallait ou pas publier le génome de l'individus au cheveu. Le cheveu est dans un musée danois, mais l’individu était d'un autre pays. Comme en droit international pour les problèmes d'exequatur, ici il convient de demander à l'autorité compétente du pays étranger quelle règle doit s'appliquer. Si on trouve une autorité compétente reconnue nationalement, et que celle-ci donne son aval, alors moralement il n'y a pas lieu de s’opposer à la décision qui se trouve être acceptée aussi bien localement que dans le pays étranger.

    Ma conclusion : les chercheurs danois ont bien agit.

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  6. Merci Skrol, je trouve l'analogie avec la publication d'un livre sur les secrets de famille très éclairant. D'autant plus que, comme pour la génomique, la technologie lève les obstacles à ce genre de choses. Je peux créer un blog ou une page Facebook où je mets de ce genre d'infos, et le monde entier les verra (et les trouvera en faisant une recherche Google avant entretien d'embauche).

    Ces changements de facilité dus à la technologie doivent à mon avis faire réfléchir à des changements de législation. Le problème c'est que la technique change beaucoup plus vite que la loi, et que trop légiférer peut être au détriment du progrès technique et social. Il n'en reste pas moins que l'on n'interdit que ce qui est possible. Il n'y avait pas de loi contre téléphoner au volant avant les téléphones portables démocratisés.

    Il reste une différence, c'est qu'on peut supposer que celui qui rend public les secrets de famille sait ce qu'il fait (quoique... si c'est un pré-ado avec un blog...), alors qu'à nouveau, pour le génome on ne sait pas vraiment quelle info il contient potentiellement.

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