vendredi 12 août 2011

L'arsenic pour les bactéries : non. Les blogs pour la science : oui

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Ces derniers mois s'est joué un petit drame comme il arrive parfois en science. Je vous raconte un peu, parce que ça inclut de la biologie, des blogs, la NASA, le prestigieux journal Science, des questions sur la revue par les pairs, le rôle des débats et de l'autocorrection en science, des pirates et des cannibales.

Tout a commencé avec une conférence de presse sponsorisée par la NASA, où des microbiologistes eux aussi sponsorisés par la NASA ont affirmé avoir isolé une bactérie qui peut utiliser l'arsenic à la place du phosphore pour fabriquer de l'ADN.

Pour comprendre l'impact d'une telle découverte, un peu de contexte : l'ADN est la molécule qui porte le matériel génétique, et est indispensable au fonctionnement de toute cellule vivante (jusqu'à preuve du contraire). Elle est formée d'une chaîne de nucléotides A, C, G, T, qui sont liés entre eux par des liaisons phosphate. Ergo, il y a un atome de phosphate qui est lié chimiquement aux deux nucléotides qui se suivent. Sans phosphate, pas d'ADN (ni ARN, mais bref). Or l'arsenic a des propriétés chimiques très semblables au phosphate. C'est justement pour cela qu'il est très toxique : il prend la place du phosphate dans des réactions chimiques indispensables au bon fonctionnement de la cellule (humaine ou bactérienne, on est tous égaux à ce niveau de chimie), mais il n'est pas du phosphate, donc ça ne marche pas comme il faut, et catastrophe. Et je suis resté simple, le phosphate est indispensable à beaucoup de fonctions essentielles de toute cellule vivante (ouais y a pas beaucoup de fonctions dans une cellule morte).

Ce qu'affirmaient les chercheurs sponsorisés par la NASA, c'est qu'une bactérie isolée d'un environnement riche en arsenic pouvait, en laboratoire, se passer de phosphate et le remplacer par de l'arsenic dans son ADN, tout en survivant et en se reproduisant.

Là où les choses ont pris un tour intéressant, et très Web 2.0, c'est que l'article, accepté dans le journal Science (un des deux plus prestigieux qui existent, avec Nature – Nature c'est anglais, Science c'est américain), a été mis en ligne sur le site web du journal immédiatement, même s'il n'allait apparaître dans la version imprimée que plusieurs mois plus tard. Intrigués par le ramdam médiatique et l'importance potentielle de la découverte, un bon nombre de microbiologistes et de biochimistes, et non des moindres, sont allés lire le papier. Et ont souvent été très déçus. D'après la plupart d'entre eux, il manquait des contrôles basiques dans les expériences, les résultats n'étaient pas concluants du tout, et la présentation des résultats à la conférence de presse avait été limite mensongère.

Ca c'est très grave. On peut faire de la science de plein de manières, on peut être sympa ou méchant, on peut être révolutionnaire ou conservateur, on peut aimer les maths ou les bottes en caoutchouc, on peut sauver le monde ou rester dans sa tour d'ivoire, mais parmi les valeurs non négociables il y a l'honnêteté et l'importance des contrôles.

L'honnêteté c'est facile à comprendre : mentir quand le but c'est de trouver la vérité collectivement, c'est clairement à l'encontre de l'objectif. Avant de me dire que ça n'est pas spécifique aux scientifiques, pensez qu'un vendeur qui ment bien et atteint ses objectifs, un militaire qui ment (on appelle cela ruser des fois) et gagne, un politicien qui ment et bref, dans beaucoup de professions la vérité est un plus joli si on peut, mais pas la valeur fondamentale. En science, si.

Pour les contrôles, c'est un peu plus technique. Disons que dans beaucoup de cas, le résultat d'une expérience pourrait être du à une variété de facteurs, et peut être interprété de différentes manières. Ce chien peut aboyer tous les soirs parce qu'il voit passer un camion, parce qu'il a faim, parce qu'il a entendu un autre chien aboyer dans le loin (il oie un chien qui aboie le soir au fond des bois). On pourrait contrôler en lui donnant à manger plus tôt, en lui cachant les camions, en lui bouchant les oreilles, etc. Les bactéries peuvent pousser parce qu'elles utilisent l'arsenic, ou parce qu'il reste du phosphate dans le milieu de culture. Elles peuvent avoir intégré l'arsenic dans leur ADN, ou l'avoir pompé et isolé dans un compartiment poubelle spécial (appelé vacuole).

En l'occurrence, plusieurs autres chercheurs ont suggéré qu'il manquait une expérience clé, à savoir isoler l'ADN des bactéries et vérifier s'il contenait directement de l'arsenic. Oui parce qu'ils n'ont pas fait ça les chercheurs à conférence de presse.

Parmi les critiques, plusieurs avaient des blogs. Plusieurs ont été interviewés par un journaliste qui a un blog très lu, Carl Zimmer. Et donc la blogosphère s'est retrouvée pleine de critiques informelles mais très bien informées du papier, même pas encore officiellement publié. Un excellent résumé en anglais sur le blog de Carl Zimmer ici.

Les auteurs de l'article pas encore publié ont répondu qu'ils ne répondraient qu'à des critiques publiées dans un journal scientifique en bonne et due forme. Ce qui est pas mal de culot pour des gens qui prétendaient juste avant révolutionner la science par conférence de presse.

La controverse ne s'est pas arrêtée là. L'article a été évalué très positivement par certains microbiologistes dans le forum (élitiste) pour scientifiques Faculty of 1000, et d'autres scientifiques ont descendu le papier en flammes au même endroit, y compris en citant les blogs.

Je vais citer une partie d'une évaluation sur Faculty of 1000, paBen Busby et Michael Galperin :


Contrairement aux auteurs et à l'évaluateur [celui qui aimait le papier dans le forum], je pense qu'il est important de noter que cet article ne démontre pas son affirmation principale, selon laquelle la bactérie étudiée, Halomonas sp. GFAJ-1, "peut pousser en utilisant de l'arsenic au lieu de phosphore". Toutefois, malgré ses nombreux problèmes, cet article est important parce qu'il démontre la capacité qu'à une espèce de bactérie à tolérer de très haut niveaux environnementaux d'arsenic de phosphate.

L'article a été officiellement publié dans Science le 3 juin 2011. Fait rarissime, dans le même numéro du magasine, il y avait 8 commentaires techniques critiques publiés à la suite de l'article, ainsi qu'une réponse des auteurs de l'article. Je pense que cela vaut la peine de citer la fin de l'éditorial de ce numéro de Science, consacré bien sûr à cet article :

Les procédures pour les Technical Comments and Responses sont telles que les auteurs de départ ont le dernier mot, et nous reconnaissons que des questions restent sans réponse. Toutefois, la discussion publiée aujourd'hui n'est qu'une étape dans un processus bien plus long. Wolfe-Simon et al. rendent leur lignée bactérienne GFAJ-1 disponibles aux autres [chercheurs] pour tester leurs hypothèses, dans le cadre normal de l'avancement de la science.

En d'autres termes, l'éditeur en chef de Science pense que les critiques ont raison, et l'article est erroné, même s'il le dit diplomatiquement. A la suite de l'éditorial, il y a des liens vers les commentaires et l'article, mais je pense que c'est tout limité d'accès aux institutions ayant des abonnements, à savoir les universités etc. De l'intérêt de la publication Open Access pour le débat scientifique.

OK, j'admet, il n'y avait pas de pirates et de cannibales finalement. Désolé.


Mises à jour :




Lien trouvé grâce à JRobinss, à propos de contrôles :
http://rrresearch.fieldofscience.com/2011/08/control-dna-preps-for-my-mass-spec.html

(Oui je viens de me rendre compte que c'est idiot d'utiliser les commentaires pour ajouter des infos à mes posts.)

7 commentaires:

  1. Lien trouvé grâce à JRobinss, à propos de contrôles :
    http://rrresearch.fieldofscience.com/2011/08/control-dna-preps-for-my-mass-spec.html

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  2. Tiens encore un endroit où on parle de cette histoire, et en français cette fois :
    http://forums.futura-sciences.com/commentez-actus-dossiers-definitions/490674-actu-bacteries-a-larsenic-resultats-mis-a-mal.html#post3662792

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  3. Coucou, Marc, je n'ai pas de commentaire fracassant à faire sur cette histoire, mais c'est juste pour que tu saches que ce blog est lu (à défaut d'être toujours compris) par quelques vieux amis...

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  4. Coucou, merci. Et rien à dire sur l'arsenic ? ;-)

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  5. Salut Marc
    Cool, je ne savais pas que tu avais lance un blog.
    Je te signale juste une petite erreur de traduction dans le commentaire F1000 de Ben Busby et Michael Galperin:
    "[...] cet article est important parce qu'il démontre la capacité qu'à une espèce de bactérie à tolérer de très haut niveaux environnementaux d'arsenic." (et non de phosphate)

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  6. Salut Marc!

    Un article (en anglais) bien complet sur la suite (politique) de cette histoire:

    http://www.popsci.com/science/article/2011-09/scientist-strange-land

    Scientist in a Strange Land

    Last December, Felisa Wolfe-Simon announced the discovery of a microbe that could change the way we understand life in the universe. Soon she found herself plunged into a maelstrom of bitter backlash and intemperate criticism. A dispatch from the frontiers of the new peer review .

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  7. Ce que je trouve le plus intéressant dans cet article, ce sont les commentaires du style "Those who control the system have set up peer review to stop anything from upsetting the status quo."

    Il semble que beaucoup de gens ne comprennent ni le peer review, ni les problèmes posés par la méthodologie de cette étude, mais seront toujours sensibles à l'idée romantique du génie méconnu seule contre tous, pot de fer contre pot de terre et tout ça.

    Ce qui est triste c'est que plus vous faites d'efforts pour qu'un système soit juste et efficace, moins les opposants seront justifiés, mais que cela n'aura aucune incidence sur la popularité desdits opposants.

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